• LA MARCHE DE RADETZKY de Joseph Roth, auteur autrichien du XXème siècle, né en Galicie de parents juifs, évoque dans son épilogue la folie du comte Chojnicki revenu fou du front. Si le comte semble avoir perdu la raison en raison de la guerre et de ses horreurs, le préfet Von Trotta juge que la folie est préférable à la mort, laissant émerger une lueur d'espoir,. En effet, selon le raisonnement du préfet, une personne ayant sombré dans les souffrances de ce monde qui le tient prisonnier, n'est pas condamné. Il peut recouvrer la raison, il est toujours vivant et on peut lui porter l'affection que l'on souhaite. La mort est, quant à elle, un point de non retour. Il songe notamment à la mort de son fils au front, ce fils qu'il aurait préféré fou plutôt qu'enterré. C'est au moment de l'effondrement de l'empire austro-hongrois que le narrateur relate cette histoire, celle de la folie du comte Chojnicki. En voici le passage:

    "Un jour, il [le préfet Von Trotta] reçut une lettre. Une certaine Madame von Taussig, totalement inconnue de lui, actuellement infirmière bénévole à l'asile d'aliénés Steinhof de Vienne, faisait savoir à M.von Trotta que le compte Chojnicki, revenu fou du front, depuis quelques mois, parlait souvent du préfet. Dans ses propos embrouillés, il soutenait constamment qu'il avait quelque chose d'important à dire à M.von Trotta. Et si, par hasard, le préfet avait l'intention de venir à Vienne, sa visite pourrait peut-être provoquer chez le malade une certaine clarification des esprits, comme il s'en état déjà produit de temps à autre dans des cas analogues. Le préfet s'informa auprès du docteur Skowronnek.

    -Tout est possible, dit Skowronnek, si vous pouvez le supporter...le supporter facilement, veux-je dire...

    M.von Trotta répondit:

    -Je puis tout supporter. Il décida de partir tout de suite. Peut-être le malade savait-il quelque chose d'important sur le sous-lieutenant. Peut-être avait-il quelque chose à remettre au père, de la main de sn fils. M.von Trotta se rendit à Vienne.

      On le conduisit dans la section militaire de l'asile d'aliénés. C'était une sombre journée d'automne finissant, l'établissement était noyé sous la pluie persistante qui, depuis plusieurs jours, ruisselait sur la terre. Assis dans le corridor blanc aveuglant, par la fenêtre grillagée, M.von Trotta regardait le rideau plus fin et plus serré de la pluie et il songeait au talus du chemin de fer où son fils était mort. "Il va être tout mouillé", se disait le préfet, comme si son fils était tombé le jour même ou la veille, le corps encore frais. Le temps s'écoulait lentement. On voyait passer des gens au visage égaré, aux membres atrocement distordus, mais pour le préfet et bien qu'il se trouvât pour la première fois dans une maison de santé, la folie n'avait point de signification terrifiante. La seule chose terrifiante, c'était la mort. "Dommage! songeait M.von Trotta. Si Charles-Joseph était devenu fou au lieu de tomber au champ d'honneur, j'aurais bien su lui rendre la raison. Et si je n'avais pas pu, je serais tout au moins venu le voir chaque jour! Peut-être son bras aurait-il été aussi atrocement distordu que celui du lieutenant qu'on amène là, en ce moment, mais c'est quand même un bras. On peut aussi plonger son regard dans des yeux révulsés! L'essentiel, c'est que ce soit les yeux de mon enfant. Heureux les pères dont les fils sont fous!

    [...]

    -Asseyez-vous, dit Chojnicki. Je vous fais venir pour vous confier une chose importante. Ne la révélez à personne! Personne ne la connaît aujourd'hui, hormis vous et moi: le vieux se meurt!

    -D'où le tenez-vous? demanda M.von Trotta.

    Chojnicki, toujours contre la porte, leva le doigt vers le plafond, le mit sur ses lèvres et dit:

    -D'en haut!"

    En conclusion, ce roman à la fois historique et familial  retrace l'histoire de l'empire austro-hongrois des années 1859 à 1916. Il propose une rapide réflexion sur la folie dans son épilogue. Elle  est vue comme une souffrance, une réclusion dans un ailleurs vague et triste. Pourtant le comte Chojnicki, devenu fou, donnera une information cruciale sur la santé de l'empereur "le vieux se meurt". C'est lui qui portera la parole de vérité. Il sera cru par le préfet. Ses dons de prédiction se révèleront très vite véritables, puisque quelques pages plus loin, nous apprenons la mort de l'empereur: "C'était le jour où l'on descendait l'Empereur dans la crypte des capucins. Trois jours plus tard, on mettait dans sa tombe le corps de M.von Trotta."

    Il est intéressant de noter que Joseph Roth fut très touché dans sa vie personnelle par le thème de la folie. Son père disparaît très tôt du cercle familial, alors que Joseph n'est pas encore né. Le père a une santé mentale fragile. Il meurt fou des années plus tard, à la cour du rabbi hassidique. L'enfant, élevé par la mère seule, trouvera accueil dans la famille de son grand-père, puis auprès de ses oncles. En 1922, Joseph Roth épouse Friedl, une ravissante jeune femme de la petite bourgeoisie juive qui souffre rapidement des conditions de vie difficile qu'elle partage avec Roth, et dont l'état de santé fragile, accentué par la vie errante du couple, débouche sur une schizophrénie qui sera soignée dans plusieurs établissements, dont celui de Steinhof à Vienne, le même que celui du personnage du comte de Chojnicki dans l'épilogue. La séparation du couple, qui n'aboutira pourtant jamais à un divorce, est entérinée par l'hospitalisation définitive de Friedl. Joseph Roth restera toujours hanté par le sort malheureux de Friedl, qui mourra peu de temps après lui, en 1940, gazée par les nazis lors du programme d'extermination des malades mentaux.

    Et voici un extrait de la musique "La Marche de Radetzky" de Johann Strauss:

     

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  • Les surréalistes s'opposent à la domination de la raison unique notamment dans LA REVOLUTION SURREALISTE. Pour eux, la folie est un nouveau territoire de l'imaginaire. Dès 1925, la revue LA REVOLUTION SURREALISTE adresse - en signe à Rimbaud, dénonçant en son temps « cette folie qu'on enferme » - une lettre aux « médecins chefs des asiles de fous », stigmatisant l'usage de la force contre des qualifications pathologiques hasardeuses et pédantes et anticipant ainsi le terrible destin d'Antonin Artaud : « Sans insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de tous les actes qui en découlent » (avril 1925). Surtout, les surréalistes pointent, dans la folie, l'inconcevable puissance de ses discours et la créativité d'un langage en pleine dé-raison : « Combien êtes-vous, par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images dont il est la proie sont autre chose qu'une salade de mots ? » C'est bien le regard de Breton qui s'exprime ici sur les possibles poétiques des proférations et délires. On le retrouve dans les textes d'Aragon et de Breton, dans « Le Cinquantenaire de l'hystérie », en 1928, où l'accent est mis sur « la subversion des rapports qui s'établissent entre le sujet et le monde moral » et sur la pathologie, redéfinie en « moyen suprême d'expression ».

     

    parue dans la revue surréaliste N° 3 le 15 avril 1925-Lettre rédigée par Antonin Artaud

     

    Messieurs,

    Les lois, la coutume vous concèdent le droit de mesurer l'esprit. Cette juridiction souveraine, redoutable, c'est avec votre entendement que vous l'exercez. laissez-nous rire. la crédulité des peuples civilisés, des savants, des gouvernements pare la psychiatrie d'on ne sait quelles lumières surnaturelles. Le procès de votre profession est jugé d'avance. Nous n'entendons pas discuter ici la valeur de votre science, ni l'existence douteuse des maladies mentales. Mais, pour cent pathogénies prétentieuses où se déchaîne la confusion de la matière et de l'esprit, pour cent classifications dont les plus vagues sont encore les plus utilisables, combien de tentatives nobles pour approcher le monde cérébral où vivent tant de vos prisonniers ? Combien êtes-vous par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images dont il est la proie sont autre chose qu'une salade de mots ?


    Nous ne nous étonnons pas de vous trouver inférieurs à une tâche pour laquelle il n'y a que peu de prédestinés. Mais nous nous élevons contre le droit attribué à des hommes, bornés ou non, de sanctionner par l'incarcération perpétuelle leurs investigations dans le domaine de l'esprit.
    Et quelle incarcération ! On sait - on ne sait pas assez- que les asiles, loin d'être des asiles, sont d'effroyables geôles, où les détenus fournissent une main-d'œuvre gratuite et commode, où les sévices sont la règle, et cela est toléré par vous. L'asile d'aliénés, sous le couvert de la justice, est comparable à la caserne, à la prison, au bagne.


    Nous ne soulèverons pas ici la question des internements arbitraires, pour vous éviter la peine de dénégations faciles. Nous affirmons qu'un grand nombre de vos pensionnaires, parfaitement fous selon la définition officielle, sont eux aussi, arbitrairement internés. Nous n'admettons pas qu'on entrave le libre développement d'un délire, aussi légitime, aussi logique que toute autre succession d'idées ou d'actes humains. La répression des réactions antisociales est aussi chimérique qu'inacceptable en son principe. Tous les actes individuels sont antisociaux. Les fous sont les victimes individuelles par excellence de la dictature sociale ; au nom de cette individualité qui est le propre de l'homme, nous réclamons qu'on libère ces forçats de la sensibilité puisque aussi bien il n'est pas au pouvoir des lois d'enfermer tous les hommes qui pensent et agissent.
    Sans insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de tous les actes qui en découlent.
    Puissiez-vous vous en souvenir demain matin à l'heure de la visite, quand vous tenterez sans lexique de converser avec ces hommes sur lesquels, reconnaissez-le, vous n'avez d'avantage que celui de la force.

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    Dans le MAGAZINE LITTERAIRE de septembre 2012 intitulé "Ce que la littérature sait de la folie", nous trouvons un article de Claire Sicard dans lequel elle parle de Ronsard et de son rapport à la folie, double, pourrait-on dire. En effet, s'il place la fureur poétique du côté de la folie créatrice, il nomme les huguenots des fous, eux qui ont osé s'opposer aux catholiques qu'il défend farouchement, à l'époque des guerres de religion au XVIème siècle qui sévissent en France. Sont fous ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux qui sortent de la norme communément admise.

     

     

    Catholique farouche, le poète apostrophe vivement les protestants en les présentant comme des esprits dérangés, auxquels il oppose une " bonne " folie : la fureur et son souffle.

     

    Ronsard a tardé à prendre parti dans les débats religieux qui secouent son époque. Mais, au début des années 1560, plus que jamais la guerre civile menace. Un poète de premier plan à la Cour, revendiquant une noblesse tant poétique que sociale, se doit d'entrer en lice et de combattre avec ses propres armes, « une plume de fer sur un papier d'acier  » comme il le dira dans La Continuation du discours des misères de son temps. En 1562 et 1563, Ronsard publie donc une série de plaquettes polémiques . Il se range clairement du côté des catholiques et de l'ordre établi.

     

    Quoi de plus simple, pour abaisser et écraser l'adversaire huguenot, que de le traiter de fou ? Ronsard ne s'en prive pas : les réformés sont furieux, insensés, ignorants. Leur folie est un aveuglement, une erreur, le fruit d'une déviation de l'imagination. Ils ont abdiqué leur faculté de juger sainement et ont « sans dessus-dessoubs la France renversée ». Malades sans le savoir, ils doivent être soignés. Plaisamment, le poète propose même son concours à la cure. Il constate d'abord la profondeur du mal : « luy sond[ant] le nez d'une esprouvelle  », il découvre que la tête du réformé qu'il examine est pleine de vent. Le diagnostic s'en trouve confirmé, puisque le fou est, étymologiquement, une outre emplie d'air. Rappelons que le mot "fou" est un adjectif ou un nom qui vient du latin « follis » qui signifie « sac ou ballon gonflé d’air », « soufflet pour la forge ». Ce mot aurait donc un rapport avec l’air, le souffle: ce qui entraîne le feu. C’est un terme qui est apparu en français durant le Moyen-Age au XIème siècle. Il a la même racine que les mots : follet, feu-follet, affoler, affolement, folâtre, raffoler… C’est au XXème siècle que le mot « fou » a disparu de la terminologie médicale au profit de l’emploi de « malade mental » ou de « psychotique ». Comme l’explique Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française, pour l’ensemble des emplois du mot « fou », c’est l’idée de hors norme qui domine. Son contraire étant « raison ». (cf: voir l'article: http://folieetespoirblog.eklablog.com/a-l-origine-des-mots-folie-et-fou-de-l-etymologie-au-sens-actuel-a112457636)

     

    Ronsard prescrit alors de s'abstenir de lire et de croire les oeuvres de Calvin pendant neuf jours. Lorsque le patient aura enfin « Abjur[é] son erreur fauce & pernicieuse [...]/ Sa premiere santé luy rentr'a dans le corps ». Ailleurs, le poète-médecin espère les effets d'une saignée ou d'une potion à base de lapis lazuli, réputée améliorer la vue et la clairvoyance. Sans la moindre ambiguïté, la folie des réformés paraît donc mauvaise ; et ce mal dangereux, car contagieux. Mais le diagnostic est réversible : chaque camp peut dénoncer la folie pathologique de l'autre.

    « Tu penses que c'est moy, je pense que c'est toy ! »

    Le propre du fou est de se croire sage. Et les mêmes mots, en une parfaite symétrie, se trouvent sous la plume de chacun des adversaires. Les détracteurs de Ronsard le considèrent aussi comme un malade. Ils lui ont d'ailleurs envoyé trois pamphlets pour le soigner - sans succès malgré la bonne volonté joyeuse du patient : « de gayeté de cueur, & sans froncer le sourcy, j'ay gobbé & avallé les troys pillules que de vostre grace m'avez ordonnées : lesquelles toutesfoys n'ont fait en mon cerveau l'entiere operation que desiriez [...] : Je vous prie que [...] vous preniez aussi joyeusement cette medecine que je vous envoye, suppliant le Seigneur qu'elle vous puisse garir plus perfettement que la mienne ne m'a fait. » À une prescription répond une autre, les médecins deviennent des patients, en même temps que les auteurs des lecteurs. Comment distinguer, dans ce jeu de rôles interchangeables, le fou du sage ? On pourrait penser trouver une réponse dans l'efficacité du traitement. Mais il n'a eu aucun effet sur Ronsard. Quant aux réformés, leur guérison n'est guère plus qu'hypothétique.

     

    Ainsi, rien ne permet vraiment de sortir de l'affrontement, et surtout pas la raison. Peut-on réellement « par livres [...] confondre » l'ennemi qui « par livres a séduict/ Le peuple dévoyé qui faucement le suit (8) » ? La parole, qui se retourne comme un gant, peut-elle remettre de l'ordre dans le monde ? L'effet de miroir ne rend-il pas impossible la détermination de la vérité ? Il faudrait une tierce instance pour sortir de la stérilité du reflet accusateur. Or ce juge, pour Ronsard comme pour les réformés, ne saurait être que divin et se trouve donc hors de portée de la raison humaine. On ne peut alors que s'en remettre à ce que l'on croit, sans assurance de ne pas s'égarer.

    « Je suis fol, Predicant, quand j'ay la plume en main,/ Mais quand je n'escri plus, j'ay le cerveau bien sain . »

     

    Si la raison n'offre aucune issue, peut-être faut-il en chercher une du côté de la folie elle-même. Car toute folie n'est pas nécessairement mauvaise. Il en existe aussi une saine, celle que les néoplatoniciens appellent furor. Souffle inspirateur, divin enthousiasme, le furor emporte celui qui l'éprouve et le guide vers le beau, le vrai et l'unité de l'âme qui s'était perdue en descendant dans le corps. Le bon poète sait se livrer à l'imagination qui le transcende, sans toutefois abdiquer jugement et art qui encadrent ce transport.

     

    Or, pas plus qu'ils ne saisissent l'ordre du monde qu'ils bouleversent, les adversaires de Ronsard n'ont accès à celui de la poésie. Le poète souligne que, avec leur application d'écoliers obtus, ils ne comprennent rien à la belle folie des Muses. Ce sont tout au plus des versificateurs dépourvus de souffle poétique. Mauvais hommes, ils sont mauvais écrivains. Car il ne suffit pas d'imiter des vers de Ronsard pour s'emparer de son art. Et ce qui distingue le prince des poètes de ces" poétastres" (mot employé par Ronsard qui signifie "mauvais poète"), c'est - précisément - le furor.

     

    Quelles en sont les marques ? Ronsard nous l'explique, en une belle leçon. La poésie vise le plaisir du lecteur. Le poète inspiré n'est pas un philosophe et ne prétend pas l'être. Aussi son écriture peut-elle sembler brusque. Elle est en fait caractérisée par une variété et une discontinuité agréables qui s'inscrivent dans un ordre plus vaste sans le mettre en péril. Quand la déraison des réformés les pousse à renverser le monde, la fureur poétique n'exerce sa libre fantaisie qu'au sein des vers. Le poète est pareil au vanneur (qui sépare le bon grain  de ses impuretés) qui jette en l'air le froment fraîchement moissonné, au feu follet bondissant, ou à l'abeille qui butine. Sa discontinuité n'est pas dérèglement : le geste du vanneur sépare le bon grain de l'ivraie, les feux follets éclairent la nuit et l'abeille « enrichist sa maison ». Finalement, cet élan apparemment sans ordre engendre de beaux fruits. Le furor, soutenu par le travail raisonné du poète, ouvre alors un possible accès au vrai.

    « Je luy seray le Tan qui le fera moucher . »

    De fait, la fureur poétique sait, plus efficacement sans doute que la raison, débusquer la folie des réformés. Avec l'énergie et la « gaillardise » qui la caractérisent, elle accule l'ennemi et met en lumière le mal qui le ronge. Ronsard furieux (mais d'un divin furor) agace son adversaire - au sens propre comme au sens figuré - jusqu'à le révéler furieux (mais d'une folie malsaine). Ce puissant effet est mis au compte de la vérité enclose dans les images suscitées par le furor. Il est, plus profondément encore, lié à une imagination conçue comme médiation entre le céleste et le terrestre. En se faisant aiguillon de la conscience troublée de son adversaire, Ronsard se donne le rôle d'un de ces démons envoyés aux hommes par Dieu. La pensée réformée refusait de telles figures de médiation, jugées irrationnelles. Ronsard, dans ses vers, les impose. Avec une délectation non dissimulée, le poète use de sa folie « gaillarde » pour faire enrager les réformés et souligner l'erreur qu'il décèle chez eux.

     

    En conclusion, le furor devient alors une arme acérée, la meilleure des « plumes de fer » pour mettre au jour la folie de l'autre. Énergie savamment orchestrée, à l'unisson de l'harmonie universelle, la fureur poétique ne produit aucun désordre mais s'emploie à remettre la déraison huguenote à sa juste place. Car, nous dit Ronsard, ce n'est qu'en respectant l'ordre du monde que l'on peut espérer cette grâce divine qui accorde à ses élus une bonne raison, comme une bonne folie.

     

     

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  •                                                   Quelles sont les racines neurologiques de l'émotion?

    La psychologie, cette petite fille de la philosophie et des sciences humaines a vu son champ d'étude dérivé pour aboutir aux sciences du cerveau. Richard Davidson, aux avant-postes de la recherche des racines neurologiques de l'émotion est directeur du laboratoire à l'université du Wiscousin, à Madison. Il fait ses études à la New York university et à Harvard où il obtient un doctorat. Au fil de sa carrière de chercheur, il s'est intéressé au lien qui existe entre l'émotion et le cerveau. Il est aujourd'hui titulaire des chaires William James et  Vilas Research en psychologie et en psychiatrie à l'université du Wiscousin.  Il a fait partie de l'équipe scientifique qui a mené des recherches neurobiologiques sur les aptitudes mentales extraordinaires des moines tibétains expérimentés.

    Richard Davidson, en compagnie du Dalaï Lama évoque les foyers cérébraux des émotions afflictives que les bouddhistes appellent les trois poisons: l'agressivité, l'avidité et l'illusion. A Harvard, Richard Davidson et David Goleman ont soutenu ensemble dans un article très pointu que l'exercice de l'attention vigilante par la méditation engendre des "effets de caractère", des transformations psychobiologiques durables et profitables, en raison de la plasticité du cerveau et des émotions. Il y aurait des connexions entre le cortex préfrontal et les centres de l'émotion, gisant tout au fond du cerveau limbique. Ce qu'on peut reprocher à l'étude cognitive, c'est qu'elle est aussi froide que le behaviorisme, elle a trop tendance à considérer que le cerveau fonctionne selon le modèle de l'ordinateur. Richard Davidson défend l'idée qu'il existe des connexions entre le cerveau et les émotions et il peut être considéré comme le fondateur des neurosciences affectives. Davidson a démontré sans conteste comment les lobes préfrontaux et le système limbique nous permettent de mêler la pensée au sentiment, la cognition à l'émotion. L'amygdale joue un rôle essentiel dans certains types d'émotions négatives, notamment la peur. L'hippocampe est essentiel aussi car il détermine notre appréciation du contexte des événements. Une des façons de savoir si quelqu'un souffre de troubles de l'émotion est de vérifier si ses émotions sont adaptées au contexte et si tel n'est pas le cas, il y a peut-être un dysfonctionnement de l'hippocampe.

    Parmi les plus frappantes découvertes des neurosciences, il y a le fait que ces régions, les lobes frontaux, l'amygdale et l'hippocampe se transforment en fonction de l'expérience vécue. Elles sont fortement influencées par l'environnement émotionnel dans lequel nous sommes élevés et par l'expérience répétée. Le fait d'être élevé dans un environnement affectueux et protecteur produit des changements objectifs vérifiables dans l'expression des gènes. Lorsque nous avons été élevés dans un climat affectueux, nous sommes plus aptes à développer à gérer nos émotions. Il a été démontré naissent tout au long de la vie de l'homme. Rien n'est donc jamais fatal. Les neurones neufs sont adaptés aux nouveaux acquis et à la nouvelle mémoire. Ces neurones continuent même de se développer chez les sexagénaires.

    Einstein racontait que lorsqu'il se mettait à réfléchir, des images lui apparaissaient et il faisait aussi ce qu'on appelle la synesthésie. C'est la fusion de différentes modalités sensorielles produisant du contenu mental. Einstein disait que ses idées ne lui venaient dans un premier temps que sous forme de visions; il ne les traduisait qu'après en mots. Il voyait d'abord les équations et les lois de la physique sous forme d'images. Apparemment, ce serait la région du lobe pariétal, le gyrus angulaire qui était le plus développé chez ce scientifique.

    Selon Richardson, l'esprit peut influencer le corps et nous permet de mieux comprendre l'effet des émotions non seulement sur notre santé mentale mais aussi physique. Tout porte à croire que les zones du cortex préfrontal gauche jouent un rôle important dans les émotions positives, tandis que celles de droite le font dans certaines émotions négatives. La santé mentale peut se mesurer sur la façon que possède un individu de se remettre plus ou moins vite d'une forte émotion. Il existe, selon Paul Ekman, une "période réfractaire". C'est le temps qu'il faut à l'esprit pour se défaire de l'emprise émotionnelle. Placés devant des images menaçantes, ceux qui reviennent le plus vite à l'état naturel sont ceux dont l'amygdale a été le moins activée, tant en intensité qu'en durée. La plupart d'entre nous secrètent un fort taux de cortisol dès qu'un événement stressant se produit, mais ceux qui se rétablissent plus vite présentent un taux de cortisol moins élevé.

    La colère peut se définir comme suit: une distorsion de la réalité, une déformation de la perception qui amplifie les aspects négatifs. C'est pourquoi elle est un poison. La pratique de la méditation peut permettre de surmonter cette émotion négative, en cultivant la joie, la foi et l'enthousiasme. La qualité essentielle pour vaincre un obstacle est la persistance.

    Le second poison pour l'esprit est l'avidité. Les anomalies de la dopamine semblent communes à toute forme d'avidité. La dopamine joue un rôle important dans le mécanisme de récompense et le plaisir qu'il suscite. Le plaisir cédant la place au désir, on veut davantage en n'appréciant moins. On ne cesse jamais de désirer et il nous en faut chaque plus pour obtenir une satisfaction égale. C'est l'un des principaux mécanismes du manque qu'on retrouve dans les formes de dépendance, ne serait-ce qu'à la cigarette et à la nicotine.

    Le troisième poison, c'est l'illusion. Ce sont les émotions afflictives qui troublent notre aptitude à clairement voir le monde. L'illusion implique une influence des circuits émotionnels du cerveau sur ceux de la perception des choses ou de l'appréhension du monde ainsi que sur les circuits de la pensée. Les personnes anxieuses et souvent inquiètes focalisent leur attention sur les signes évoquant une menace. L'illusion peut aller jusqu'à déformer la perception visuelle.

    En conclusion, il est donc important de se responsabiliser dans la gestion de nos émotions, d'agir pour nous-mêmes et pour les gens qui nous entourent. Richard Davidson insiste sur le fait que lorsqu'on développe certaines pensées ou émotions positives, on agit sur notre cerveau et on le transforme.

     

     

     

    Bibliographie

    Surmonter ses émotions destructrices- Daniel Goleman, chapitre 8, pp.321-362.

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  • Comment éduquer nos émotions?

    Comment éduquer ses émotions?

    Mark Greenberg, docteur en psychologie, titulaire de la chaire Bennett en recherche sur la prévention, professeur de psychologie du développement et d'études familiales s'interroge sur les programmes scolaires visant à apprendre aux enfants à maîtriser leurs émotions destructrices. Le Dalaï Lama toujours invité pour réfléchir là-dessus propose des pistes.

     

    La motivation profonde du Dalaï-Lama, c'est de permettre au bouddhisme tibétain, qui tire ses racines dans la pensée indienne profonde, de nous aider à affronter les problèmes modernes. Il enseigne les moyens de développer la bonté en  substituant par exemple la colère à la compassion par un certain type d'éveil. Il s'agit de développer une éducation basée sur la science et non sur la religion. Ce serait un programme à mettre en place. La méditation de l'attention vigilante est une façon d'éduquer son esprit à mieux gérer ses émotions. Quels moyens d'y parvenir? On se concentre sur un objet neutre pour la conscience, comme le souffle naturel de la respiration et on ferme ainsi les portes aux émotions destructrices, en se focalisant sur un point précis, sans laisser DEVIER la pensée. Aussi longtemps que l'on vit dans l'attention et la vigilance, l'esprit devient une forteresse inaccessible aux émotions destructrices, il nous protége. On peut repenser à l'image d'une montagne qui ne bouge pas face aux vents puissants, elle reste debout, inaltérable aux conditions extérieures. Il s'agit de développer la fortitude -force morale- plutôt que de répondre à la violence par la violence. Nous devons rester aux commandes de notre esprit plutôt que de céder aux appels des émotions afflictives qui nous mettent dans un état émotionnel parfois très grave, comme dans le cas de la schizophrénie, où l'individu ne dirige plus le bateau et où ce sont les émotions destructrices qui prennent le dessus.

    Une fois développée cette attention extrêmement fine et concentrée, on atteint un certain niveau d'équanimité et d'invulnérabilité aux émotions destructrices. Il faut éviter également le cramponnement: processus de projection qui nous fait considérer l'objet comme désirable ou indésirable, ce qui provoque l'attraction ou la répulsion.

     

    Il existe deux types de méditation:

    -la méditation concentrée qui vise à stabiliser, focaliser et concentrer son esprit

    -la méditation intérieure où il s'agit en fait de sonder la nature du réel pour éviter de sombrer dans une émotion afflictive qu'on nomme illusion. Cette dernière déforme notre aptitude à appréhender le réel. L'illusion déforme notre circuit perceptif et donc notre appréhension du monde tel qu'il est.

    En conclusion, la pratique de la méditation permet à l'esprit d'être mieux dirigé et d'atteindre son plein épanouissement par ce travail nécessaire à l'équilibre et donc à l'équanimité en chassant les trois poisons que sont l'avidité, l'agressivité et l'illusion.

    Bibliographie

    Surmonter ses émotions destructrices, Daniel Goleman, pp.303-318.

    En mars 2000, plusieurs scientifiques et penseurs se sont réunis autour du Dalaï-Lama pour réfléchir à des questions d'actualité: quelles sont les racines profondes des comportements destructeurs? Comment pouvons-nous maîtriser nos émotions? Peut-on apprendre à vivre en paix avec les autres et avec soi-même?

     

    Et pour finir, un peu de musique...Bossa nova!

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