• L'hybris chez les Grecs renvoie à l'orgueil, la démesure. Il se prononce ainsi "hubris": http://fr.forvo.com/search/hybris/grc/. Il peut engendrer la folie, l'"harmata" "erreur". Le dictionnaire Larousse en ligne nous explique que l'hybris est tout ce qui renvoie à la démesure, à l'orgueil chez les Grecs. Il est puni par les Dieux qui se vengent ("nemesis"=vengeance) sur la personne qui peut alors subir de nombreuses souffrances.

    "La chute d'Icare" de Matisse

     

    La mythologie  regorge de récits mettant en scène un personnage puni pour son hybris envers les dieux : Tantale par exemple. On trouve aussi Bellérophon, Icare, Prométhée, Lucifer, Oedipe...Ils sont tous maudits pour cette raison et perdent leur grandeur première. Dans la Théogonie d'Hésiode, les différentes races d'hommes (de bronze, de fer...) qui se succèdent sont de même condamnées pour leur hybris. D'une certaine manière, la faute d'Agammemnon dans le premier livre de L'Iliade relève de l’hybris en tant qu'il dépossède Achille de la part de butin qui devrait justement lui revenir.

    L'hybris est souvent considérée comme l’HAMARTIA (« erreur » : la folie) des personnages des tragédies grecques et la cause de la némésis (=vengeance) qui s'abat sur ces personnages. Toutefois, les tragédies ne présentent qu'une petite portion des hybris de la littérature grecque et, généralement, l'hybris a lieu de par des interactions entre mortels.

     

    La conception de l’hybris comme faute détermine la morale des Grecs comme étant une morale de la mesure, de la modération et de la sobriété, obéissant à l'adage pan metron (en grec ancien παν μετρον, qui signifie littéralement « de la mesure en tout », ou encore « jamais trop » et « toujours assez »). L'homme doit rester conscient de sa place dans l'univers, c'est-à-dire à la fois de son rang social dans une société hiérarchisée et de sa mortalité face aux dieux immortels. Il ne doit pas se croire plus grand qu'il n'est et accepter que des choses le dépassent en cultivant l'humilité.

    Dans le christianisme, cette notion d'hybris perdure à travers le terme "orgueil" qui est également châtié dans l'histoire de la Tour de Babel par exemple. L'orgueil est un des 7 péchés capitaux. Il conduit l'homme qui en est atteint à la chute.

     

    Cette démesure, cet "hybris" s'opposant à la sagesse, peut engendrer la folie qui se traduit par des émotions négatives excessives qui détruisent la personne qui en est atteinte et la conduise vers une mort psychique ou physique représentée par la chute du personnage.

     

    "La chute d'Icare" de Chagall

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    Dessin de Sempé sur le labyrinthe

     

                                                                            Nietzsche et la folie

    Dans" La volonté de puissance", Nietzsche congédie les vertueux et leurs leçons de bonheur. Philosophe "immoraliste et aventurier", il aspire à rencontrer  au cœur du labyrinthe "monsieur le Minotaure". De la philosophie comme tauromachie...

    "Si tant est que nous soyons des philosophes, nous autres hyperboréens, il semble cependant que nous le soyons autrement que l'on ne l'a été autrefois. Nous ne sommes pas des moralistes...Nous n'en croyons pas nos oreilles, lorsque nous entendons parler, tous ces hommes d'autrefois. "Voici le chemin du bonheur!" - c'est avec cette exclamation qu'ils se précipitent tous sur nous, avec une recette à la main, la bouche hiératique pleine d'onction. "Mais qu'importe à nous le bonheur?" -répondons-nous avec étonnement. "Voici le bonheur!" -reprennent ces saints vociférateurs endiablés: et voici la vertu, le nouveau chemin du bonheur!...Mais nous vous en prions, Messieurs. Croyez-vous donc que nous nous soucions de votre vertu! Pourquoi irions-nous donc à l'écart, nous autres, pourquoi deviendrions-nous philosophe, rhinocéros, ours des cavernes, fantôme? N'est-ce pas pour être débarrassé de la vertu et du bonheur? Nous sommes de par notre nature beaucoup trop heureux, beaucoup trop vertueux, pour ne pas voir qu'il y a une petite séduction dans le fait de devenir philosophe: c'est-à-dire immoraliste et aventurier...Nous avons pour le labyrinthe une curiosité particulière, nous tâchons, pour cela de la faire la connaissance de monsieur le Minotaure dont on raconte des choses si dangereuses. Que nous importe votre chemin qui monte, votre corde qui aide à sortir! qui aide à parvenir au bonheur et à la vertu! à parvenir jusqu'à vous, je le crains bien...Vous voulez nous sauver au moyen de votre corde! Et nous, nous vous supplions instamment de vous pendre avec!...

    A quoi sert tout cela en fin de compte! Il n'y a pas d'autre moyen pour remettre la philosophie en honneur: il faut d'abord pendre les moralistes.Tant que ceux-ci parlent de bonheur et de vertu, ils amènent tout au plus les vieilles femmes et la philosophie. Regardez-les donc en face, tous ces sages célèbres, tels qu'ils existent depuis des milliers d'années, ce sont tous des vieilles femmes, des femmes vieillottes, des mères, pour parler comme Faust. "Les mères, les mères, cela fait frissonner!" -Nous faisons de la philosophie un danger, nous en changeons l'idée, nous enseignons le phwilosophie, en tant que principe dangereux pour la vie: comment saurions-nous lui venir en aide?"

    Nietzsche, La volonté de puissance, TEL. Gallimard, 1995, livre II, 2, 167.

    Extrait du hors série Philosophie magazine sur Sempé

     

    La folie de Nietzsche

    En 1889, Nietzsche a 45 ans et vit à Turin. Il loge dans une petite auberge, située place Carlo Alberto. Le 3 janvier au matin, il est débordé par ses fantasmes, perd la raison et saute hors du monde.

    La rumeur raconte que ce jour-là, Nietzsche assiste à une scène brutale : il voit un cocher battre un vieux cheval de trait. Saisi par la pitié, sanglotant, il se jette au cou de la bête martyrisée avec un geste protecteur, puis s’effondre. Nietzsche gît à terre. Des passants s’arrêtent et l’entourent. Son logeur, Davide Fino, intrigué par l’attroupement, reconnaît le philosophe et le ramène à l’auberge. Là, dans un état crépusculaire, Nietzsche s’étend sur un sofa. Il reste muet, prostré, brisé. Il finit par s’endormir. A son réveil, il a perdu le sens de son identité, il a le sentiment d’être le Christ ou Dionysos.

    Entre le 3 et le 7 janvier, Nietzsche reste barricadé dans sa chambre. La nuit, il réveille les autres locataires de la pension par des chants, des cris, des improvisations au piano, de longs monologues bruyants. Pendant ces quatre jours, il écrit une multitude de lettres adressées au roi d’Italie (« A mon fils bien-aimé Umberto »), au Pape, à des amis et connaissances. A Georg Brandes, il envoie une lettre pleine de reconnaissance et de gratitude : « A l’ami Georg ! Après que tu m’eus découvert ce n’était plus grand chose de me trouver ; la difficulté, c’est maintenant de me perdre… » (Nietzsche, 1989). Dans ces lettres, des passages lucides et sublimes se perdent souvent dans un monde irréel, où l’imagination débridée du philosophe dérive sans gouvernail. Il envoie sa dernière lettre à Jakob Burckhardt, à Bâle, un professeur d’histoire et ami. Dans cette lettre, il se présente comme Dieu et l’invite à le rejoindre. En lisant cette lettre, Burckhardt réalise que Nietzsche a perdu la raison. Il alerte Franz Overbeck (un théologien protestant, proche de Nietzsche) qui lui-même a reçu la lettre suivante : « A l’ami Overbeck et à sa femme. Bien que vous n’ayez montré jusqu’alors qu’une foi minime dans ma solvabilité, j’espère cependant prouver encore que je suis quelqu’un qui paie ses dettes, – à vous, par exemple… A l’instant je fais fusiller tous les antisémites… Dionysos » (ibid.). Overbeck demande alors conseil au professeur L. Wille, chef de clinique de l’hôpital psychiatrique de Bâle. Wille lui suggère de partir sur-le-champ à Turin. Le soir même, Overbeck se met en route avec l’intention de rapatrier son ami.

     

    Lien externe:

    http://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2005-1-page-21.htm

     

    Une philosophie qui mène à la folie: l'orgueil du surhomme destructeur

    Interprétation personnelle:

    La philosophie de Nietzsche -que je ne classerai pour ma part pas dans la philosophie d'ailleurs- repose sur une démolition du concept de Dieu. Dieu est mort. Mais alors, quelle transcendance? L'homme doit reprendre son pouvoir, reprendre le dessus sur ce qui le dépasse. N'est-ce pas une conception  bien orgueilleuse du monde? Aucune transcendance. L'être humain devient presque un Dieu. Les Grecs parlaient d'hybris et ce défaut était sévèrement châtié, qu'on songe à Prométhée, voleur de feu ou à Icare, dont la chute lui fut fatale.

    La célèbre phrase de Nietzsche: "Périssent les faibles et les ratés! Il faut même les y aider", rappelle le peu de considération qu'il avait pour la faiblesse humaine, pour notre fragilité. Pourtant, il n'échappa pas dans son histoire personnelle à cette chute dans la déraison, lui qui se croyait tout puissant et qui vanta cette idée, lui qui voulait pendre les moralistes. La moralité, la réflexion sur le bien et le mal est pourtant essentielle. Que penser des gens qui torturent, de ceux qui violent? Inculquer la morale à nos enfants, leur donner des valeurs, c'est leur permettre de grandir dans le respect des autres. Le philosophe est l'ami de la sagesse. En était-il un? Comme le rappelle un célèbre proverbe, "ce qu'on n'apprend pas dans la sagesse, on l'apprend dans la souffrance"... Or, celui qui a congédié la morale chrétienne et la morale tout court avec autant de véhémence devint fou. Sa raison dominante ne le sauva pas. La fin de Nietzsche donne une bonne leçon de morale malgré tout -lui qui la fustigeait- et nous rappelle que les Grecs n'avaient pas tout à fait tort de rappeler que l'hybris mène au pire et que l'humilité reste notre plus grande force. L'orgueil conduit à la tragédie et l'histoire de Nietzsche le rappelle.

     

    Conclusion: Le problème est que nous vivons dans une époque nietzschéenne. La folie destructrice, conséquence de notre orgueil démesuré, nous guette... L'absence de toute moralité peut nous être fatale. Que dire à nos enfants? N'avons-nous pas besoin d'une transcendance, d'une soif d'absolu, de cultiver le divin en nous?

     

    Nietzche  par Munch (le peintre qui a peint la folie)

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  • L'amour propre peut nous faire perdre notre discernement et donc la raison, en nous plongeant dans l'illusion lorsque nous refusons de voir la réalité telle qu'elle est. Quand l'autre nous blesse dans cet amour-propre, la violence, le silence glacial ou la haine peuvent surgir. L'amour propre est un fléau qui nous rend fou et peut nous faire sortir de nos gonds. C'est du moins de cette façon que Pascal l'explique avec lucidité et justesse. Il met des mots sur bien des maux. Ses qualités d'introspection peuvent aider à progresser intérieurement si nous savons en dégager la sagesse pour devenir des hommes meilleurs. Parole de moraliste...

     

    La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi, et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misére. Il veut être grand, et il se voit petit. Il veut être heureux, et il se voit misérable. Il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections. Il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer. Car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit autant qu’il peut dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie.

    C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts, mais c’est encore un plus grand mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c’est y ajouter encore celui d’une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent, et nous ne trouvons pas juste qu’ils veuillent être estimés de nous plus qu’ils ne méritent. Il n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons.

    Ainsi, lorsqu’ils ne nous découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu’ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause ; et qu’ils nous font un bien, puisqu’ils nous aident à nous délivrer d’un mal, qui est l’ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu’ils les connaissent et qu’ils nous méprisent, étant juste, qu’ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu’ils nous méprisent si nous sommes méprisables.

    Voilà les sentiments qui naîtraient d’un cœur qui serait plein d’équité et de justice. Que devons-nous donc dire du nôtre en y voyant une disposition toute contraire ? Car n’est-il pas vrai que nous haïssons et  la vérité, et ceux qui nous la disent ; et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d’eux, autres que nous ne sommes en effet ?

    En voici une preuve qui me fait horreur. La religion catholique n’oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde. Elle souffre qu’on demeure caché à tous les autres hommes. Mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel que l’on est. Il n’y a que ce seul homme au monde qu’elle nous ordonne de désabuser, et elle l’oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connaissance est dans lui comme si elle n’y était pas. Peut-on s’imaginer rien de plus charitable et de plus doux ? Et néanmoins la corruption de l’homme est telle qu’il trouve encore de la dureté dans cette loi ; et c’est une des principales raisons qui a fait révolter contre l’Église une grande partie de l’Europe.

    Que le cœur de l’homme est injuste et déraisonnable pour trouver mauvais qu’on l’oblige de faire à l’égard d’un homme, ce qu’il serait juste en quelque sorte qu’il fît à l’égard de tous les hommes ! Car est-il juste que nous les trompions ?

    Il y a différents degrés dans cette aversion pour la vérité ; mais on peut dire qu’elle est dans tous en quelque degré, parce qu’elle est inséparable de l’amour propre. C’est cette mauvaise délicatesse qui oblige ceux qui sont dans la nécessité de reprendre les autres de choisir tant de détours et de tempéraments pour éviter de les choquer. Il faut qu’ils diminuent nos défauts, qu’ils fassent semblant de les excuser, qu’ils y mêlent des louanges et des témoignages d’affection et d’estime. Avec tout cela, cette médecine ne laisse pas d’être amère à l’amour propre. Il en prend le moins qu’il peut, et toujours avec dégoût, et souvent même avec un secret dépit contre ceux qui la lui présentent.

    Il arrive de là que, si l’on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre un office qu’on sait nous être désagréable : on nous traite comme nous voulons être traités. Nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe.

    C’est ce qui fait que chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile, et l’aversion plus dangereuse. Un Prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien. Je ne m’en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. Or ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils servent, et ainsi ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.

    Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n’en sont pas exemptes, parce qu’il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle : on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion.

    L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres. Il ne veut pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres. Et toutes ces dispositions si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.

    .............

    Et c'est peut-être cette racine qu'il faut déraciner si on veut vivre des relations authentiques, apaisées et sereines avec les personnes que l'on aime...

     

    Lien utile vers les "Pensées" de Pascal expliquées

    http://www.penseesdepascal.fr/Hors/Hors2-moderne.php

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  • <figure class=" ob-pull-left ob-media-left ob-img-size-300 "> Yang Yongliang, Infinite Landscape </figure>

    Titre de l'œuvre: Yang Yongliang, Infinite Landscape

    Extrait de philosophie magazine, de l'article "Babel nous joue des tours"

    ORDRE ET DESORDRE

    « Ici, l’homme ne se bat pas avec Dieu, il ne veut pas monter jusqu’au ciel pour l’égaler, mais cherche à réduire la nature, arraisonnée par la technique, comme le dirait Heidegger. Des autoroutes, des rails, des immeubles accrochés à flanc de colline, une usine dominent les nuages. L’orgueil humain tient à la volonté de conquérir et de dominer la nature, ce que des auteurs comme Hannah Arendt tiennent pour l’essence même de la modernité. Mais l’infini que l’espèce humaine cherche à atteindre est moins vertical qu’horizontal. L’homme ne grimpe pas vers le ciel, mais il avance. Il ne construit pas une tour, mais il marche. Si la vidéo de Yang Yongliang prolonge Babel, elle offre une vision non monothéiste de ce mythe qui repose sur l’existence d’un ordre divin que les hommes contestent en érigeant une tour. La réponse divine, qui est presque celle d’un Dieu nihiliste, est alors de créer du désordre. Un désordre que l’on retrouve dans cette civilisation urbaine qui détruit, à coup de pelleteuses, le cadre naturel. On retrouve la dialectique de l’ordre et du désordre dans cette œuvre dont l’harmonie est absente, qui met en scène une folie, une fuite en avant. De sombres et gigantesques montagnes d’immeubles surplombent à l’infini des mégalopoles en proie à la démesure et à la déraison. L’artiste étant chinois, il faut toutefois se demander si sa critique porte sur la civilisation urbaine en général ou bien sur la manière dont la civilisation matérielle se développe dans le contexte spécifique de la Chine. »

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  • <figure class=" ob-pull-left ob-media-left ob-img-size-300 "> Wolfe Von Lenkiewicz, Babel </figure>

    Extrait d'un article sur Babel tiré de "Philosophie magazine" (juin 2012)

    Contamination ou greffe ?

    « En déconstruisant un tableau célèbre de Bruegel, Von Lenkiewicz propose un détournement ironique de la représentation la plus classique de la tour de Babel. Cette œuvre respecte les structures formelles de l’iconographie de la Renaissance, en particulier celles qui régissent l’organisation de l’espace. Non seulement elle reprend les jeux de plans du peintre flamand, mais on y retrouve une ville et un paysage contenant des collines, une rivière, jusqu’à un bateau qui n’a rien de contemporain. Toutefois, l’artiste y introduit des éléments anachroniques issus de l’univers de Walt Disney. Ainsi, comme dans un tableau de la fin du Moyen Âge, un personnage fait irruption dans le décor, mais au lieu d’être une Vierge à l’enfant, il s’agit de Blanche-Neige. En outre, la tour de Bruegel se prolonge ou se transforme, en haut du tableau, en un château de la Belle au bois dormant. Il s’agit moins de représenter la réalité que de donner à voir une expression métaphorique du monde qui livre un sens ambivalent. Si l’on considère que les motifs propres au dessin animé sont simplement plaqués sur le tableau de Bruegel, on peut dès lors suggérer que la composition de Von Lenkiewicz illustre un phénomène souvent déploré de contamination de la “vraie” culture (Bruegel) par ce qui est dénommé “sous-culture” (Walt Disney). Dans cette hypothèse, l’artiste semble désigner la destruction d’une culture classique sous l’effet d’une trivialisation du monde. Mais on peut, en sens inverse, y voir la traduction de l’idée d’une cohabitation réussie des différentes cultures issues d’univers presque antagonistes. Cette œuvre en forme de clin d’œil apporterait, en ce sens, la preuve que la “sous-culture” hollywoodienne se greffe très bien sur les représentations les plus classiques. Le croisement des références conduirait à des processus d’hybridation et il n’y aurait pas de quoi en faire un drame ! Pollution de la culture classique versus diversité de la culture contemporaine, voilà les deux interprétations possibles de ce tableau qui ne permettent pas de trancher entre la Babel tragique de la tradition et une Babel plus heureuse, la malédiction ou une bénédiction de la confusion des langues et des cultures. L’ironie est poussée jusqu’au bout : on ne sait s’il s’agit d’une déploration du mélange ou d’un éloge du métissage. »

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