-
Lettre aux médecins chefs des asiles de fous (1935)-Antonin Artaud
Les surréalistes s'opposent à la domination de la raison unique notamment dans LA REVOLUTION SURREALISTE. Pour eux, la folie est un nouveau territoire de l'imaginaire. Dès 1925, la revue LA REVOLUTION SURREALISTE adresse - en signe à Rimbaud, dénonçant en son temps « cette folie qu'on enferme » - une lettre aux « médecins chefs des asiles de fous », stigmatisant l'usage de la force contre des qualifications pathologiques hasardeuses et pédantes et anticipant ainsi le terrible destin d'Antonin Artaud : « Sans insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de tous les actes qui en découlent » (avril 1925). Surtout, les surréalistes pointent, dans la folie, l'inconcevable puissance de ses discours et la créativité d'un langage en pleine dé-raison : « Combien êtes-vous, par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images dont il est la proie sont autre chose qu'une salade de mots ? » C'est bien le regard de Breton qui s'exprime ici sur les possibles poétiques des proférations et délires. On le retrouve dans les textes d'Aragon et de Breton, dans « Le Cinquantenaire de l'hystérie », en 1928, où l'accent est mis sur « la subversion des rapports qui s'établissent entre le sujet et le monde moral » et sur la pathologie, redéfinie en « moyen suprême d'expression ».
parue dans la revue surréaliste N° 3 le 15 avril 1925-Lettre rédigée par Antonin Artaud
Messieurs,
Les lois, la coutume vous concèdent le droit de mesurer l'esprit. Cette juridiction souveraine, redoutable, c'est avec votre entendement que vous l'exercez. laissez-nous rire. la crédulité des peuples civilisés, des savants, des gouvernements pare la psychiatrie d'on ne sait quelles lumières surnaturelles. Le procès de votre profession est jugé d'avance. Nous n'entendons pas discuter ici la valeur de votre science, ni l'existence douteuse des maladies mentales. Mais, pour cent pathogénies prétentieuses où se déchaîne la confusion de la matière et de l'esprit, pour cent classifications dont les plus vagues sont encore les plus utilisables, combien de tentatives nobles pour approcher le monde cérébral où vivent tant de vos prisonniers ? Combien êtes-vous par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images dont il est la proie sont autre chose qu'une salade de mots ?
Nous ne nous étonnons pas de vous trouver inférieurs à une tâche pour laquelle il n'y a que peu de prédestinés. Mais nous nous élevons contre le droit attribué à des hommes, bornés ou non, de sanctionner par l'incarcération perpétuelle leurs investigations dans le domaine de l'esprit.
Et quelle incarcération ! On sait - on ne sait pas assez- que les asiles, loin d'être des asiles, sont d'effroyables geôles, où les détenus fournissent une main-d'œuvre gratuite et commode, où les sévices sont la règle, et cela est toléré par vous. L'asile d'aliénés, sous le couvert de la justice, est comparable à la caserne, à la prison, au bagne.
Nous ne soulèverons pas ici la question des internements arbitraires, pour vous éviter la peine de dénégations faciles. Nous affirmons qu'un grand nombre de vos pensionnaires, parfaitement fous selon la définition officielle, sont eux aussi, arbitrairement internés. Nous n'admettons pas qu'on entrave le libre développement d'un délire, aussi légitime, aussi logique que toute autre succession d'idées ou d'actes humains. La répression des réactions antisociales est aussi chimérique qu'inacceptable en son principe. Tous les actes individuels sont antisociaux. Les fous sont les victimes individuelles par excellence de la dictature sociale ; au nom de cette individualité qui est le propre de l'homme, nous réclamons qu'on libère ces forçats de la sensibilité puisque aussi bien il n'est pas au pouvoir des lois d'enfermer tous les hommes qui pensent et agissent.
Sans insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de tous les actes qui en découlent.
Puissiez-vous vous en souvenir demain matin à l'heure de la visite, quand vous tenterez sans lexique de converser avec ces hommes sur lesquels, reconnaissez-le, vous n'avez d'avantage que celui de la force.« Ronsard, la fureur poétique et la folie des protestantsExtrait de "La Marche de Radetzky" de Joseph Roth »
Tags : lettre aux médecins chefs des asiles de fous, Antonin Artaud, André Breton, la révolution surréaliste
-
Commentaires