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    Au début des années 30, Antonin Artaud  rencontre le jeune comédien Jean-Louis Barrault et tisse avec lui un profond lien amical, artistique et spirituel. Acteur, mais surtout poète, metteur en scène, théoricien du théâtre, Artaud admire Barrault. De son côté, Barrault, jeune comédien, créateur de certains de ses spectacles, éprouve pour Artaud une sorte de fascination, intellectuelle et humaine. Il le voit chavirer dans un « destin de crucifié », celui d’un homme souffrant, interné en psychiatrie sept ans durant.

     Fin 1943, il sera transféré à Rodez, grâce à l’aide de Robert Desnos, dans le service du docteur Ferdière, homme de culture et ami des surréalistes.

     Dans le cadre de l’art-thérapie prôné par le docteur Ferdière, il adapte les textes d’Edgar Poe et Lewis Carroll, dont le fameux L’Arve et l’Aume, tentative anti-grammaticale contre Lewis Carroll et écrit tous les jours dans de petits cahiers qui deviendront les Cahiers de Rodez.

     Voici une des lettres qu'Antonin Artaud écrivit à Jean-Louis Barrault dans laquelle on perçoit une grande lucidité et une volonté de résister à l'envahisseur allemand. Antonin Artaud était un homme de foi, de cœur et contrairement à ce qu'on peut penser parfois de ceux qui ont vécu l'expérience de la folie, un homme perspicace et juste.

     

     

    Lettre d'Antonin Artaud à Jean-Louis BarraultAntonin Artaud   Lettre d'Antonin Artaud à Jean-Louis BarraultJean-Louis Barrault

     

     

    Rodez, 1er février 1944

     

    Mon bien cher Ami,

     

    Je vous ai écrit à la Comédie-Française au moment de la première du « Soulier de Satin » il y a trois semaines ou un mois et je me demande si cette lettre vous est parvenue. Vous devriez la réclamer. – Jean-Louis Barrault je n’en peux plus des distances qui nous séparent et de ne plus voir ceux qui me sont chers. Je sais que vous ne m’oubliez pas et que vous pensez souvent à moi ; mais je vois que la vie vous retient par trop de soucis, de préoccupations, d’angoisse et qu’elle vous empêche de me donner le signe que j’attends de vous. – Peut être vous retient-elle aussi par des charmes faux, des illusions captieuses et que vous n’avez pas encore entièrement tuées. J’ai passé mon temps depuis six ans et demi de claustration à lutter entre le faux et le vrai dans le mental. Mais maintenant c’est assez. Je n’en peux plus de cet éternel débat avec moi-même. Il faut que je vive moi aussi. J’ai besoin d’air et d’une nourriture que ces temps de restrictions et de guerre ne permettent plus de trouver nulle part. – Elle durera jusqu’à ce qu’un certain nombre d’hommes, dont vous êtes au premier rang, aient compris de quoi il s’agit. Et si je vous écris c’est qu’il faut à tout prix maintenant, Jean-Louis Barrault, retrouver la mémoire de quelque chose. Un vieux problème s’est posé à nous tous depuis les débuts conscients de notre existence et

     

    Au-dessous duquel nous vivons. Eh bien il faut faire un effort pour remonter le cours des choses, et renverser les événements. On le peut par la pureté et la sincérité en face de soi-même, et en face aussi de Dieu.

     

    Mais il ne faut pas oublier Dieu. - Ceci mon très cher ami n’est pas un sermon mais une Vérité que j’ai fini à force de douleurs et d’isolement par percevoir dans toute l’objectivité de son essence. Et je vois que tous ceux qui vivent autour de moi n’ont même pas conscience de leur propre vie. Car vivre n’est pas suivre moutonnièrement le cours des événements, dans le train-train habituel de cet ensemble d’idées, de goûts, de perceptions, de désirs, de dégoûts que l’on confond avec son moi propre et parmi lesquels on s’assouvit sans chercher plus loin ni au-delà. Vivre c’est se surmonter soi-même, et chaque homme ne fait pas autre chose que de se livrer à soi. or il y a eu dans cette vie-ci, dans le réel et dans le temps, avant 1937 des périodes extraordinaires où nous nous sommes tous vus au-dessus de nous-mêmes et où Dieu dans le concret a passé. Les hommes les ont oublié, c’est pourquoi ils ne comprennent pas cette guerre-ci et s’imaginent qu’elle peut durer. Aux hommes d’élan, d’enthousiasme et de Foi, comme vous Jean-Louis Barrault, à les faire revenir, non au théâtre et en images, mais dans la vie, en réalité.

     

    Je vous embrasse,

    Antonin Artaud

     

    ................

     

     

     

    Jean-Louis Barrault dira de son ami Antonin Artaud:

     

    « Sans calmant, Artaud explosait de partout. Il était royalement beau. »

     

    Voici la lettre dans laquelle est contenue cette citation:

     

    "Je devais subir Artaud d’une façon identique, jusqu’au mimétisme. C’était un personnage double. L’un était d’une lucidité vertigineuse. Il avait conscience de tout ce qui se passait à la fois autour de lui : à droite, à gauche, devant, derrière, tout près, très loin. Il captait le Présent dans tous les sens, de tous ses sens. Une perception d’oeil de mouche.

     

    L’autre Artaud était un personnage embrasé et voyant. On avait l’impression que l’on avait monté sur une voiture de tourisme un moteur d’avion. Sans calmant, Artaud explosait de partout. Il était royalement beau. (...) Il avait un front extraordinaire qu’il portait toujours en avant pour éclairer sa route. De ce front grandiose s’échappaient des gerbes de cheveux. Ses yeux bleus et perçants rentraient dans ses orbites comme pour pouvoir scruter plus au loin. Des yeux d’oiseau rapace - un aigle. Son nez mince et pincé frémissait constamment... (...)

     

    Vous comprenez, j’ai été son jeune disciple- parfois indiscipliné. J’ai reçu son influence d’une façon fulgurante. Il suffisait de trois ou quatre jets d’Artaud pour que tout à coup une déchirure cellulaire se produise en moi et me découvre ce que je portais sans le savoir. Avec lui, ce fut la métaphysique du théâtre qui m’entra dans la peau. Alors certaines nuits ont été des nuits de feu. (...)"

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Quel rôle jouent la religion et la spiritualité pour la santé mentale?

    Rôle de la religion et de la spiritualité en santé mentale

     

     

     

       Près de 80 % des Américains disent qu’ils pratiquent un type de religion alors que 20%, pour la plupart des jeunes disent qu’ils ne le font pas (selon une étude de 2012 du Pew Research Center.)  La spiritualité a-t-elle une importance pour le développement mentale de l'individu? Peut-elle être source de guérison? C'est à cette question que Kenneth Pargament va tenter de répondre.

     

    Qui est Kenneth Pargament?

    Kenneth Pargament, PhD, est un expert de premier plan dans la psychologie de la religion et de la spiritualité. Connu pour ses travaux de recherches et ses analyses scientifiques du rôle de la religion dans la santé mentale, il a joué le rôle d’éditeur principal du manuel de psychologie, Religion et spiritualité, publié en janvier 2013. Il a écrit deux livres:

    -  La Psychologie de la religion et de la résilience : théorie, recherche et pratique, 1997 

    -  Psychothérapie intégrant la spiritualité : comprendre et toucher au sacré  2007.

    Il est psychologue clinicien et professeur de psychologie à l’université Bowling Green State et chercheur émérite à l’institut pour la spiritualité et la santé au Texas Medical Center.

     

     

     L'association américaine (APA) a décidé de poser  plusieurs questions à un spécialiste des liens entre psychologie, religion et santé mentale: Kenneth Pergament.

     

    INTERVIEW

     

    APA : Vous êtes reconnu pour votre recherche au sujet des liens entre la religion et la résilience. Que découvrez-vous dans vos études sur le lien entre religion et bien-être ou stress psychologique ? Quelle est la différence entre la gestion religieuse positive et négative et les issues potentielles pour les patients ?

    Pargament : le vieil adage selon lequel il n’y a pas d’athées dans les tranchées n’est pas réellement vrai. Avant, pendant et après le combat, nous pouvons trouver des athées qui ont toujours maintenu leurs orientations. Il est vrai cependant que les gens se retournent vers leur foi comme source de consolation et de soutien dans les moments les plus stressants. En fait, des groupes tels les personnes âgées et les minorités semblent plus enclins à chercher l’aide dans la foi que dans la famille, les amis ou le système de soin.

     

    Des études empiriques de plusieurs groupes faisant face à des stress majeurs tels que des désastres naturels, la maladie, la perte des êtres chers et la maladie mentale grave montrent que la religion et la spiritualité viennent en général en aide pour faire face -surtout pour ceux qui ont le moins de ressources- pour faire face aux problèmes les plus incontrôlables. Il y a cependant plusieurs types de résilience religieuse et certaines sont plus à même d’aider que d’autres. Les gens peuvent tirer parti de nombreuses ressources religieuses et spirituelles qui ont été liées à des ajustements positifs dans les temps de crise. Ces formes de soutien positives incluent le soutien spirituel de Dieu ou d’un pouvoir suprême, les rites qui facilitent les transitions dans la vie, le pardon spirituel, le soutien d’une institution religieuse ou du clergé et la reformulation d’une situation stressante en un système de pensée plus grand, plus bienveillant.

     

    D’un autre côté, certaines formes de soutien religieux et spirituel peuvent poser des problèmes. Les évènements de la vie peuvent détruire les gens spirituellement aussi bien que psychologiquement, socialement et physiquement. Des gens peuvent éprouver des difficultés spirituellement dans leur compréhension de Dieu, dans leurs conflits internes ou avec les autres personnes. Un nombre toujours plus important de recherches a montré le lien entre ces difficultés spirituelles et les niveaux élevés de détresse psychologique, le déclin de la santé physique et même une plus grande mortalité. Il est ainsi important que les psychologues et d’autres travailleurs du système de soin soient conscients de la nature duelle de la religion et de la spiritualité .Elles peuvent être des ressources vitales pour la santé et le bien-être, mais elles peuvent aussi être la cause de malheurs.

     

    APA : Comment les psychologues utilisent-ils la religion et la spiritualité dans leur pratique clinique aujourd’hui ? Parmi les différentes approches, quelles sont d’après vous les plus efficaces et pourquoi ?

     

    Pargament : Pendant de nombreuses années, les psychologies se sont  tenues à l’écart de la religion et de la spiritualité dans la pratique clinique à cause de l’opposition historique à la religion chez des leaders anciens tels que Sigmund Freud et B.F. Skinner ou peut être simplement parce que les psychologues manquent de formation dans ce domaine. Il y a cependant des raisons validées du point de vue scientifique pour utiliser la religion et la spiritualité dans la pratique clinique. Pour beaucoup, la religion et la spiritualité sont des ressources fondamentales qui peuvent aider à grandir. Pour d’autres, la religion et la spiritualité peuvent être des sources de problèmes qui doivent être traitées dans le soin pour leur santé et leur bien-être. Des sondages ont montré que les gens aimeraient pouvoir parler du sujet de la foi dans les traitements psychologiques. Les psychologues sont obligés par l’éthique d’être respectueux et attentifs à la diversité culturelle de leurs patients et la religion et la spiritualité jouent un rôle dans notre identité personnelle et sociale. Enfin, des recherches récentes montrent que des approches intégrant la spiritualité sont aussi efficaces que d’autres traitements. Il y a en bref de bonnes raisons scientifiques pour être ouvert à la religion et à la spiritualité dans la pratique clinique.

     

    Les psychologies mettent au point aujourd’hui et évaluent des approches intégrant la spiritualité qui incluent : des programmes de pardon pour aider les personnes divorcées à mettre un terme à l’amertume et à la colère; des programmes pour aider les survivants d’abus sexuels à faire face à leur combat spirituel; des traitements pour des femmes en proie aux troubles alimentaires qui tirent parti de leurs ressources spirituelles; et des programmes qui aident les consommateurs de drogue à se reconnecter à leur moi supérieur. Ces programmes sont encore en début d’élaboration mais les premiers résultats sont encourageants. Pour les psychologues non familiers du travail dans ce domaine, je les encourage à commencer par poser simplement à leurs patients une ou deux questions sur leur religion ou spiritualité. La plupart des patients sont contents de parler de cela. En montrant leur intérêt pour la religion et la spiritualité, les psychologues ouvrent la porte à une conversation plus riche et plus profonde.

     

    APA : Quelle est la différence entre la spiritualité et la pleine conscience ou la méditation ? Est-ce que la gratitude et le pardon dans un contexte religieux ou spirituels sont différents des mêmes vertus dans un contexte profane?

    Pargament : la psychologie a commencé à intégrer et à explorer des sujets nouveaux et engageants – la méditation, le pardon, l’acceptation, la gratitude, l’espoir et l’amour. Chacun de ces phénomènes a des racines profondes dans les traditions et philosophies religieuses orientales et occidentales. Cependant, les chercheurs et les praticiens ont pris soin de traiter ces processus de manière profane: « Il n’est pas nécessaire d’être religieux pour méditer » est devenu commun dans la littérature. La recherche dans ce domaine a commencé à apporter des idées très importantes sur le plan psychologique et social et des implications puissantes pour le changement et la croissance des personnes. Et pourtant, on peut perdre quelque chose lorsqu’on déconnecte ces constructions de leur contexte.

     

    Dans ce sens, des recherches ont montré qu’une méditation basée sur une phase spirituelle est plus efficace pour réduire la douleur physique que la méditation sur une phrase profane. De la même façon, d’autres études ont montré que des formes de soutiens spirituels jouent pour la santé et le bien être plus que le soutien profane ou d’autres processus psychologiques ou sociaux. Le fait d’appartenir à une église n’est pas équivalent au fait d’appartenir aux Kiwanis ou au Rotary Club. Qu’est-ce qui rend spécial la religion et la spiritualité ? A la différence d’autres dimensions de la vie, la religion et la spiritualité se focalisent singulièrement sur le domaine du sacré – transcendance, vérité ultime, finitude et connexion profonde. Toute psychologie qui néglige ces aspects de la vie reste incomplète.

     

    APA : Quels sont les problèmes éthiques auxquels sont confrontés les psychologies qui incorporent la religion dans les traitements pour leurs patients ?

     

    Pargament : En ce qui concerne la religion et la spiritualité, personne n’est neutre. Cette règle générale s’applique aussi bien aux athées ou aux agnostiques qu’aux théistes. Elle s’applique aux psychologues autant qu’à leurs clients. Comme la religion et la spiritualité provoquent des sentiments profonds chez les gens et comme elles s’adressent aux valeurs les plus profondes, les psychologues praticiens doivent être prudents dans leur approche de ces processus et les aborder avec connaissance, sensibilité et soin. Malheureusement, la plupart des psychologues n’ont aucune formation en religion ou spiritualité au cours de leurs études. Il faut changer cela. Un soin compétent repose sur une connaissance de base de la diversité religieuse et spirituelle et sur la compréhension de la relation étroite de la religion et de la spiritualité et des comportements adaptés ou mal adaptés des personnes ; il repose aussi sur les capacités à traiter les problèmes religieux et spirituels qui surviennent au cours des traitements.

     

    Un soin compétent provient aussi d’une connaissance de soi. Les praticiens, qu’ils soient ou non religieux ou spirituels ou qu’ils partagent une orientation religieuse ou spirituelle avec leur patient, doivent être conscients du fait que leur orientation peut avoir un effet conscient ou non sur leur patient. Ils doivent aussi prendre des mesures pour protéger le libre choix et l’autonomie des patients. Une discussion ouverte avec les patients sur les valeurs qui sous-tendent le traitement est peut être une des voies les plus importantes pour garantir une pratique éthique. Consulter des experts qui représentent des traditions religieuses et spirituelles et différentes traditions professionnelles apporte aussi beaucoup. Cela peut offrir une perspective et une grande sagesse pour le traitement des problèmes éthiques et des valeurs qui peuvent survenir lorsqu’on traite de la religion ou de la spiritualité dans la pratique clinique.

     

    APA : Etant donné la grande portée de ce sujet avec tant de points de vue différents, comment êtes-vous parvenu à publier un manuel en deux volumes sur la psychologie, la religion et la spiritualité ?

     

    Pargament : Les temps ont changé dans ce domaine. Quand j’ai commencé en 1975, il me suffisait d’aller à la bibliothèque une fois par semestre et lire distraitement les revues pour rester au fait de la littérature. Ce n’est plus le cas. Il est devenu difficile de rester au fait de l’explosion de la recherche dans ce domaine. Prenons un exemple de ce que l’on peut apprendre : dès leur plus jeune âge, les enfants montrent des capacités spirituelles fortes ; les conjoints qui prient l’un pour l’autre ont moins tendance à être infidèles ; les personnes qui assistent à des services religieux une fois par semaine ou plus vivent en moyenne sept ans de plus (pour les noirs, plus de quatorze ans) ; la religiosité a été reliée à l’intolérance sélective envers ceux qui se comportent sans tenir compte des croyances traditionnelles.

     

     

    Lorsqu’on m’a demandé de travailler comme éditeur en chef du manuel de psychologie, religion et spiritualité, j’ai dû faire face à un défi majeur – comment apporter une plus grande cohérence à ce domaine en développement rapide. Vers la fin, mes coéditeurs et moi-même avons organisé le manuel selon un paradigme intégratif pour la psychologie de la religion et de la spiritualité, qui reflète les multiples aspects de la religion et de la spiritualité, leurs buts multiples et leur capacité pour le bien et pour le mal. Dans le premier tome, nous avons mis l’accent sur les bases contextuelles, théoriques et empiriques de ce domaine ; dans le second tome, nous avons mis l’accent sur les découvertes récentes dans le domaine de la pratique clinique et le mouvement vers une psychologie appliquée de la religion et de la spiritualité.

     

    (Traduction d'un article en anglais : http://www.apa.org/news/press/releases/2013/03/religion-spirituality.aspx)

     

     

    On peut joinder Pargament par email our par telephone au (419) 372-8037.

     

     

      L’APA est une association américaine de psychologie à Washington. D.C. est l’organisation scientifique et professionnelle la plus importante représentant la psychologie aux Etats-Unis et la plus importante au monde. L’APA compte plus de 134 000 chercheurs, enseignants, cliniciens, consultants et étudiants. De par son découpage en 54 champs de psychologie et ses filiales dans 6o associations d’état de territoire et de province canadienne, l’APA travaille au progrès à la communication et à l’application de la connaissance psychologique au bénéfice de la société et pour améliorer la vie des personnes. 

     

     

     

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    Cet article est extrait du Monde et a été rédigé par Claire Gilly. Il explore la folie dans toutes ses nuances à travers quelques tableaux: de la folie douce (La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934) à la folie furieuse ("Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail).

     

    Depuis l'Antiquité, aucune maladie n'a été plus porteuse d'iconographie chez les artistes que la folie. Les images fortes, souvent déroutantes, présentées dans "Images de la folie", de Claude Quétel, témoignent de cet engouement pour l'absence de sagesse ou la perte de la raison. L'historien dresse un panorama complet de l'histoire de la folie elle-même, de la fin du Moyen Age dans l'Europe occidentale jusqu'à nos jours.

    Fascinant par son ambivalence et les mystères qu'il recèle, que signifie le mot "folie", en général, pour les artistes ?

    Le mot est finalement plus bivalent qu'ambivalent. Les deux sens coexistent sans équivoque depuis l'Antiquité : d'un côté et dans cet ordre, la folie-maladie, et de l'autre, la déraison au sens moral et  religieux, non pas impossibilité mais refus de se surveiller soi-même. Cette double perception est partagée par les artistes, même s'ils jouent tantôt sur un registre, tantôt sur l'autre. Quand l'Antiquité représente Héraclès furieux (au sens de furor), c'est de vraie folie qu'il s'agit – celle qu'a envoyée Héra à court d'avanies. Quand la Renaissance illustre La Nef des fous ou quand Cranach l'Ancien peint La Mélancolie, on est dans l'allégorie. Goya peint, sur le vif, la folie des asiles de son temps. Chaque artiste sait où il va.

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    Lucas Cranach l’Ancien, La Mélancolie, 1532, huile sur bois, musée Unterlinden, Colmar

    La Mélancolie de Cranach l'Ancien, 1532, explication du tableau

     

    "La Mélancolie" acquise par le musée Unterlinden en 1983 s’inspire sans conteste d’une gravure sur le même thème que Dürer réalise en 1514. Sujet de réflexion depuis l’Antiquité, la mélancolie participe de la théorie médicale des quatre humeurs dont l’équilibre relatif conditionne la santé de l’homme. À l’opposé du Moyen Âge, la Renaissance valorise cet état et l’associe au tempérament artistique pour en faire le ferment de toute création. Cranach emprunte des motifs à Dürer mais les transpose pour illustrer un des prêches de Luther visant à dénoncer la mélancolie comme un état propre à un être influencé par Satan et contre lequel il faut boire et manger.

     

    Plus que tout autre peintre contemporain, Lucas Cranach l’Ancien (Cranach, 1472 - Weimar, 1553) a été fortement marqué au début du XVIe siècle par les pensées de Luther qui travaille pour le prince électeur de Saxe acquis à la Réforme. Dans la peinture de Cranach, plusieurs motifs restent encore à expliquer, notamment la figure de la femme ailée pelant une baguette qui est sans doute une allusion au désœuvrement propice à la mélancolie.

     

    Écho des recherches menées par les artistes de la Renaissance italienne qui pénètrent largement en Allemagne au début du XVIe siècle, le fond de la scène s’ouvre, tel une fenêtre, sur un paysage naturel dans lequel la perspective est construite par le dégradé des couleurs du ciel.

     

     

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    Quelles sont les pathologies les plus représentées ?

    Si ce n'est la furor des Anciens, plus frappante, si j'ose dire, parce qu'elle est dangereuse et qu'elle fait peur, la pathologie psychiatrique la plus représentée est l'hystérie. Aucune folie n'a été autant mise en vedette – on dirait aujourd'hui "peopolisée". Après tout c'est ce que cherche l'hystérique. Et puis les hystériques sont des femmes (même si les classifications de la psychiatrie n'en exemptent pas théoriquement l'homme). Et les artistes d'alors sont des hommes…

    Dès la fin du Moyen Age, les images de la folie sont nombreuses dans l'Europe occidentale. Comment les artistes la percevaient-ils et quel était le contexte de l'époque ?

    A cette époque précise, il n'y a pas de représentation iconographique de la folie-maladie. Celle-ci existe bien mais elle n'intéresse pas l'artiste. C'est le temps de l'allégorie, de la folie du monde et du péché. Une iconographie plus "naturaliste" représente les bouffons et les fous de cour qui font alors fureur.

    La psychiatrie apparaît au XIXe siècle : de nombreuses gravures dressent un inventaire des pathologies et en donnent une vision effrayante...

    D'un côté, les pères de la psychiatrie, au tout début du XIXe siècle, multiplient les récits horrifiants, renforcés par des illustrations, des conditions qui sont faites aux insensés enfermés jusqu'alors. De l'autre, ils multiplient les représentations iconographiques de ce que doit être l'asile idéal, avec ses douches et ses appareils de contention modernes. Or, ce sont paradoxalement ces images-là qui nous paraissent aujourd'hui les plus effrayantes. C'est qu'on sait que l'asile ne guérit pas – et d'ailleurs on l'a su bien avant que l'antipsychiatrie ne s'en mêle.

    Quelles vont être les codes de représentation auxquels les artistes vont recourir?

    Quelle que soit la période, chaque artiste joue sur des codes différents, selon sa sensibilité ou selon la commande. Si l'on reste aux premières décennies de la psychiatrie, il y a un abîme entre, par exemple, les représentations académiques (dont la moindre n'est pas Pinel faisant tomber les chaînes des aliénés) et le thème de la folie accaparé par les romantiques. L'un et l'autre étaient d'ailleurs faits pour se rencontrer ! C'est aussi l'époque où d'autres artistes s'emploient, à la demande des psychiatres, à dessiner les visages des aliénés (la "physiognomonie") pour y chercher une vérité de la folie.

    La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934). La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934). | ©Gusman/Leemage

     

    Pouvez-vous nous parler du tableau La Folle, de Pierre Georges Jeanniot, réalisé en 1899 ?

    Pierre-Georges Jeanniot (1848-1934), ami de Degas, peintre mais aussi graveur et illustrateur d'ouvrages, est un chroniqueur de la vie parisienne. Sa Folle ne prétend pas symboliser la folie en général mais nous intéresse au contraire par son naturalisme : vaguement surveillée par une garde-malade qui lit son journal, une femme, jeune encore, à demi dénudée, aux cheveux défaits, qui a ôté ses chaussures. Son expression, vaguement souriante, est égarée mais paisible. Les fleurs dans les cheveux tout comme la rose qu'elle tient du bout des doigts soulignent une folie douce qui n'en est que plus pathétique.

    Et celui de Médée furieuse, peint par Eugène Delacroix en 1862 ?

    Ah ! Médée ! Que de choses à dire sur cette princesse barbare répudiée par Jason pour l'amour de qui elle a déjà commis nombre de crimes avant de se venger de lui en immolant leurs propres enfants ! Ses viscères, ses émotions négatives (colère, folie) parlent plus fort que son entendement, explique Euripide. Médée furieuse inspire durablement les artistes, de Médée tuant son fils, sur une amphore à figures rouges vers 330 avant J.-C. jusqu'à l'apocalyptique Médée de Mucha. Delacroix ne pouvait que s'éprendre de son propre tableau que, d'ailleurs, d'études en copies, il garde par devers lui de 1838 à 1862. Delacroix n'a pas mis vingt ans à peindre ce tableau, comme on le dit souvent, mais vingt ans à s'en dessaisir ! Sa Médée a été analysée à l'infini. On n'en retiendra ici que l'opposition absolue et dramatique entre l'entrelacement des corps, qui ne font et ne sont qu'un, la poitrine généreuse de Médée d'abord femme et mère féconde, et le glaive qu'elle serre farouchement dans sa main ainsi que son attitude froide et déterminée.

    "Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail. "Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail. | ©Photo Josse/Leemage

     

    Images de la folie, de Claude Quétel - Editions Gallimard - 192 pages - 247 illustrations - 49 euros.

    Propos recueillis par Claire Gilly

     

    Liens externes

     

    Lien dont est extrait l'article (cf: Le Monde):

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/28/la-folie-dans-tous-ses-etats_1431709_3260.html

     

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  • Repenser la folie

    http://www.rethinkingmadness.com/home/4540109046

    Des recherches récentes suggèrent que la guérison complète de la schizophrénie et d’autres troubles psychiques est non seulement possible mais que c’est en réalité l’issue la plus probable si l’environnement s’y prête, une découverte qui va à l’encontre de la compréhension ordinaire de ces troubles si mal compris.

    Dans « repenser la folie » (Rethinking Madness), le Dr Paris Williams prend le lecteur par la main et lui fait découvrir pas à pas comment la compréhension dominante de la schizophrénie s’est tellement fourvoyée ; il élabore une vision bien plus précise et plus optimiste de la folie. Au fur et à mesure, on découvre un sens profond de la sagesse et de la résilience qui se trouve en chacun même ceux que l’on traite de profondément troublés et on se rend compte du très faible écart entre ce qu’on appelle folie et santé.

    Citations de lecteurs renommés:

    Dans repenser la folie, Paris Williams décrit la façon dont la science, l’histoire et les histoires personnelles de guérison de la folie montrent toutes à quel point le modèle médical de la schizophrénie/psychose est faux et comment il doit être complètement repensé. Il décrit de façon claire les raisons d’un changement de paradigme dans notre façon de penser qui de façon essentielle offrirait à ceux qui subissent l’épreuve de la folie l’espoir et la connaissance du fait qu’une guérison véritable est possible et avec un entourage adéquat très commune. De plus, les histoires personnelles de ce livre révèlent qu’une crise de folie peut être un voyage vers une transformation personnelle positive.

    Robert Whitaker, a reçu le prix George Polk pour ses écrits médicaux. Il est l’auteur de Mad in America et Anatomy of an Epidemic.

    Enfin un livre qui résume les dernières découvertes – non en biochimie du cerveau – mais dans la phénoménologie de la psychose. Rethinking Madness est un livre très éclairant à la fois pour le scientifique et pour la personne qui peine dans sa vie psychique. Je recommande vivement ce livre à tous ceux qui sont touchés par l’expérience psychotique, ce qui veut dire en fait nous tous et, pour savoir pourquoi, lisez-donc ce livre.

    Kirk Schneider, Docteur, éditeur du Journal of Humanistic psychology, professeur associé de psychologie à l’université de Saybrook et auteur de The Paradoxical Self and Awakening in Awe.

    Ce livre devrait prendre part à la formation de chaque médecin, psychiatre et conseiller spirituel et les familles et les amis des malades mentaux devraient aussi le posséder ainsi que les personnes malades elles-mêmes.

    Joanne Greenberg, auteur du bestseller de renommée mondiale “je ne vous ai jamais promis un jardin de roses”.

    Paris Williams a écrit une critique très  nécessaire et profonde des approches dominantes concernant la psychose. Le traitement courant en psychiatrie, qui peut être utile à certains s’est avéré néfaste pour la plupart des patients psychotiques. Ce livre nous aide à le comprendre. En plus de faire une critique des méthodes actuelles, Williams donne aussi une vision pleine d’espoir des nouvelles possibilités de traitement et de transformation de ce désordre si mystérieux.

     

    Brant Cortright, Docteur, professeur de psychologie à l’institut Integral Studie en Californie et auteur de psychothérapie et esprit et psychologie intégrale.

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  • John Perry, célèbre philosophe américain s'interroge sur les origines de la motivation. En effet, dans de nombreux domaines -la santé, la réussite professionnelle, la vie amoureuse- la motivation est importante pour tenter de sortir d'une situation insatisfaisante. Comme dirait Roosevelt, "les gagnants trouvent des moyens, les perdants des excuses." On peut donc se demander ce qui permet à un être humain de se mettre au travail pour réussir et réaliser un rêve qui lui permettra de s'épanouir. Vouloir guérir, se sortir d'une situation dans laquelle on s'englue et faire les efforts nécessaires demande de la motivation. Qu'en dit John Perry?

    Ce mélange de désir, de savoir-faire et de croyances, qui est indispensable à toute action humaine, est ce que j’appelle un « complexe de motivation », dira John Perry.

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