• Comment le thème de la folie est-il traité par les artistes peintres?

     

    Cet article est extrait du Monde et a été rédigé par Claire Gilly. Il explore la folie dans toutes ses nuances à travers quelques tableaux: de la folie douce (La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934) à la folie furieuse ("Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail).

     

    Depuis l'Antiquité, aucune maladie n'a été plus porteuse d'iconographie chez les artistes que la folie. Les images fortes, souvent déroutantes, présentées dans "Images de la folie", de Claude Quétel, témoignent de cet engouement pour l'absence de sagesse ou la perte de la raison. L'historien dresse un panorama complet de l'histoire de la folie elle-même, de la fin du Moyen Age dans l'Europe occidentale jusqu'à nos jours.

    Fascinant par son ambivalence et les mystères qu'il recèle, que signifie le mot "folie", en général, pour les artistes ?

    Le mot est finalement plus bivalent qu'ambivalent. Les deux sens coexistent sans équivoque depuis l'Antiquité : d'un côté et dans cet ordre, la folie-maladie, et de l'autre, la déraison au sens moral et  religieux, non pas impossibilité mais refus de se surveiller soi-même. Cette double perception est partagée par les artistes, même s'ils jouent tantôt sur un registre, tantôt sur l'autre. Quand l'Antiquité représente Héraclès furieux (au sens de furor), c'est de vraie folie qu'il s'agit – celle qu'a envoyée Héra à court d'avanies. Quand la Renaissance illustre La Nef des fous ou quand Cranach l'Ancien peint La Mélancolie, on est dans l'allégorie. Goya peint, sur le vif, la folie des asiles de son temps. Chaque artiste sait où il va.

    ...................................

     

    Lucas Cranach l’Ancien, La Mélancolie, 1532, huile sur bois, musée Unterlinden, Colmar

    La Mélancolie de Cranach l'Ancien, 1532, explication du tableau

     

    "La Mélancolie" acquise par le musée Unterlinden en 1983 s’inspire sans conteste d’une gravure sur le même thème que Dürer réalise en 1514. Sujet de réflexion depuis l’Antiquité, la mélancolie participe de la théorie médicale des quatre humeurs dont l’équilibre relatif conditionne la santé de l’homme. À l’opposé du Moyen Âge, la Renaissance valorise cet état et l’associe au tempérament artistique pour en faire le ferment de toute création. Cranach emprunte des motifs à Dürer mais les transpose pour illustrer un des prêches de Luther visant à dénoncer la mélancolie comme un état propre à un être influencé par Satan et contre lequel il faut boire et manger.

     

    Plus que tout autre peintre contemporain, Lucas Cranach l’Ancien (Cranach, 1472 - Weimar, 1553) a été fortement marqué au début du XVIe siècle par les pensées de Luther qui travaille pour le prince électeur de Saxe acquis à la Réforme. Dans la peinture de Cranach, plusieurs motifs restent encore à expliquer, notamment la figure de la femme ailée pelant une baguette qui est sans doute une allusion au désœuvrement propice à la mélancolie.

     

    Écho des recherches menées par les artistes de la Renaissance italienne qui pénètrent largement en Allemagne au début du XVIe siècle, le fond de la scène s’ouvre, tel une fenêtre, sur un paysage naturel dans lequel la perspective est construite par le dégradé des couleurs du ciel.

     

     

    ..............................................

    Quelles sont les pathologies les plus représentées ?

    Si ce n'est la furor des Anciens, plus frappante, si j'ose dire, parce qu'elle est dangereuse et qu'elle fait peur, la pathologie psychiatrique la plus représentée est l'hystérie. Aucune folie n'a été autant mise en vedette – on dirait aujourd'hui "peopolisée". Après tout c'est ce que cherche l'hystérique. Et puis les hystériques sont des femmes (même si les classifications de la psychiatrie n'en exemptent pas théoriquement l'homme). Et les artistes d'alors sont des hommes…

    Dès la fin du Moyen Age, les images de la folie sont nombreuses dans l'Europe occidentale. Comment les artistes la percevaient-ils et quel était le contexte de l'époque ?

    A cette époque précise, il n'y a pas de représentation iconographique de la folie-maladie. Celle-ci existe bien mais elle n'intéresse pas l'artiste. C'est le temps de l'allégorie, de la folie du monde et du péché. Une iconographie plus "naturaliste" représente les bouffons et les fous de cour qui font alors fureur.

    La psychiatrie apparaît au XIXe siècle : de nombreuses gravures dressent un inventaire des pathologies et en donnent une vision effrayante...

    D'un côté, les pères de la psychiatrie, au tout début du XIXe siècle, multiplient les récits horrifiants, renforcés par des illustrations, des conditions qui sont faites aux insensés enfermés jusqu'alors. De l'autre, ils multiplient les représentations iconographiques de ce que doit être l'asile idéal, avec ses douches et ses appareils de contention modernes. Or, ce sont paradoxalement ces images-là qui nous paraissent aujourd'hui les plus effrayantes. C'est qu'on sait que l'asile ne guérit pas – et d'ailleurs on l'a su bien avant que l'antipsychiatrie ne s'en mêle.

    Quelles vont être les codes de représentation auxquels les artistes vont recourir?

    Quelle que soit la période, chaque artiste joue sur des codes différents, selon sa sensibilité ou selon la commande. Si l'on reste aux premières décennies de la psychiatrie, il y a un abîme entre, par exemple, les représentations académiques (dont la moindre n'est pas Pinel faisant tomber les chaînes des aliénés) et le thème de la folie accaparé par les romantiques. L'un et l'autre étaient d'ailleurs faits pour se rencontrer ! C'est aussi l'époque où d'autres artistes s'emploient, à la demande des psychiatres, à dessiner les visages des aliénés (la "physiognomonie") pour y chercher une vérité de la folie.

    La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934). La folle, 1899, huile sur toile de Pierre Georges Janninot (1848-1934). | ©Gusman/Leemage

     

    Pouvez-vous nous parler du tableau La Folle, de Pierre Georges Jeanniot, réalisé en 1899 ?

    Pierre-Georges Jeanniot (1848-1934), ami de Degas, peintre mais aussi graveur et illustrateur d'ouvrages, est un chroniqueur de la vie parisienne. Sa Folle ne prétend pas symboliser la folie en général mais nous intéresse au contraire par son naturalisme : vaguement surveillée par une garde-malade qui lit son journal, une femme, jeune encore, à demi dénudée, aux cheveux défaits, qui a ôté ses chaussures. Son expression, vaguement souriante, est égarée mais paisible. Les fleurs dans les cheveux tout comme la rose qu'elle tient du bout des doigts soulignent une folie douce qui n'en est que plus pathétique.

    Et celui de Médée furieuse, peint par Eugène Delacroix en 1862 ?

    Ah ! Médée ! Que de choses à dire sur cette princesse barbare répudiée par Jason pour l'amour de qui elle a déjà commis nombre de crimes avant de se venger de lui en immolant leurs propres enfants ! Ses viscères, ses émotions négatives (colère, folie) parlent plus fort que son entendement, explique Euripide. Médée furieuse inspire durablement les artistes, de Médée tuant son fils, sur une amphore à figures rouges vers 330 avant J.-C. jusqu'à l'apocalyptique Médée de Mucha. Delacroix ne pouvait que s'éprendre de son propre tableau que, d'ailleurs, d'études en copies, il garde par devers lui de 1838 à 1862. Delacroix n'a pas mis vingt ans à peindre ce tableau, comme on le dit souvent, mais vingt ans à s'en dessaisir ! Sa Médée a été analysée à l'infini. On n'en retiendra ici que l'opposition absolue et dramatique entre l'entrelacement des corps, qui ne font et ne sont qu'un, la poitrine généreuse de Médée d'abord femme et mère féconde, et le glaive qu'elle serre farouchement dans sa main ainsi que son attitude froide et déterminée.

    "Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail. "Médée furieuse", Médée assassine ses deux enfants dans une grotte, Eugène Delacroix (1798-1863), huile sur toile, 1862 - détail. | ©Photo Josse/Leemage

     

    Images de la folie, de Claude Quétel - Editions Gallimard - 192 pages - 247 illustrations - 49 euros.

    Propos recueillis par Claire Gilly

     

    Liens externes

     

    Lien dont est extrait l'article (cf: Le Monde):

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/28/la-folie-dans-tous-ses-etats_1431709_3260.html

     

    « Repenser la folie - livre du Dr Paris WilliamsRôle de la religion et de la spiritualité en santé mentale »
    Partager via Gmail Yahoo!

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :