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    Cet article n'a pas été rédigé par une personne spécialiste de la maladie mentale. Il est l'œuvre d'un des rédacteurs de ce blog qui n'a pas vécu la maladie mentale de l'intérieur, mais de l'extérieur et qui entend donner son avis. Il est important que chacun puisse en offrir sa vision afin qu'elle soit discutée et qu'elle ne soit plus un sujet tabou que l'on écarte ou qu'on laisse dans le flou. La vérité est souvent obtenue dans le domaine des sciences humaines grâce à la multiplicité des points de vue et aux différences, certainement pas en forçant chacun à adopter un point de vue uniforme contre son ressenti. Avoir raison n'a jamais été une vertu, c'est l'écoute qui permet d'harmoniser les points de vue et d'éviter les cacophonies.

     

     
     La maladie mentale, c'est lorsqu'on ne parvient plus à gérer des émotions négatives et que l'on est submergé par elles au point de vivre dans cette souffrance permanente, avec ces émotions qui  rongent les sangs. Cette expérience est tout à fait réelle, même si certaines personnes y voient l'expression d'un délire, coupée de leur réalité et de la logique à laquelle ils sont accoutumés. Ces émotions négatives  peuvent venir de l'extérieur -sentiment de honte, harcèlement subi etc...- conjugué à un manque de défense interne qui ne permet pas de les surmonter. Ce qu'il faut, c'est renforcer le système psychique, comme on renforce le système immunitaire.
     
    Ces forces négatives peuvent prendre corps en la personne et lui donner le sentiment qu'il ne gère plus rien, qu'il ne réussit plus à diriger sa propre conscience. Elles peuvent s'installer en soi lorsque des sentiments déjà négatifs-comme la haine ou la colère- ont déjà été cultivés, mais également s'enraciner car la personne n'a pas la force de combattre les assauts extérieurs et sociaux qui l'anéantissent -perte de son emploi pour des questions économiques, harcèlement etc...-. Les causes d'une installation des émotions négatives en soi et sur du long terme sont variables. On pourrait envisager, pour combattre ces assauts négatifs, la culture de forces positives par la biais de la méditation ou de la prière, dans un environnement serein et chaleureux affectivement -ce qui n'est malheureusement pas le cas des hôpitaux psychiatriques-. Cultiver des forces psychiques positives peut aider à chasser les forces psychiques négatives que sont le ressentiment, la haine, la peur, la colère et bien d'autres qui envahissent l'être et le rende MAL-ade. En somme, c'est le système de défense psychique qui doit être renforcé et de l'imagination pour proposer des systèmes de soin qui épanouissent et non qui enferment. L'enfermement, la tyrannie sont dirigés par la peur, tandis que la liberté est à rattacher à la confiance en l'être humain, à sa capacité à aimer et à donner, à se remettre en question, à évoluer positivement.
     
    Pour les gens qui entourent la personne malade, il est nécessaire de ne pas la forcer à adopter un point de vue qui n'est pas le sien, en s'exprimant pourtant sans se laisser faire et en tentant d'adopter une attitude douce -même si cela est difficile lorsqu'on se sent agressé- et en laissant du temps au temps. Le psychisme comme la nature et les plantes ont besoin de patience pour s'épanouir et de beaucoup de soin et d'amour pour grandir le mieux possible. Le dialogue est également une source d'épanouissement et d'échange non négligeable. On ne convainc personne en mettant en place un système tyrannique, basé sur la peur et sur le ressentiment, mais en tentant de faire appel à sa raison et à ses sentiments positifs. Persuader et convaincre en douceur sont bien plus constructifs que forcer quelqu'un à penser de la même façon que nous par des émotions prescrites.
     

     

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  • Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste. Il s'intéresse aux différentes émotions qui nous constituent en tentant de distinguer le bon grain de l'ivraie, nos vraies émotions, celles qui proviennent de notre être et les fausses émotions -émotions prescrites ou de proximité- qu'on emprunte à un autre, un parent par exemple.

    Le traumatisme génère le retrait émotionnel

    Aujourd'hui, en Occident,  le retrait émotionnel n'est plus guère le résultat d'une méthode de conditionnement et il se rencontre plutôt comme la conséquence d'un traumatisme. Chacun peut le constater autour de lui. Une victime d'agression fait parfois le récit de ce qui lui est arrivé comme si cela concernait quelqu'un d'autre. Quand on l'écoute, on est frappé par le fait qu'elle ne manifeste aucune émotion. A la limite, plus le traumatisme a été grave, plus cette anesthésie émotionnelle risque de s'imposer. Il en a été beaucoup question à l'occasion du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration. Un rescapé avait recours à l'image d'une dent dévitalisée: pour lui, les survivants des camps avaient l'apparence d'êtres humains, mais ils ne l'étaient plus car quelque chose avait été définitivement tué à l'intérieur d'eux. (p.26)

    L'absence d'écoute des émotions peut entraîner le manque de confiance en soi

    Quand un enfant a grandi dans un environnement peu attentif à ses émotions ou qui en a fait alterner brutalement des contradictoires, il devient souvent un adulte peu sûr de lui. (p.36) Il craint de ressentir des émotions inadaptées ou inconvenantes et de se faire rejeter s'il les manifestait. La fiabilité du partenaire émotionnel que chacun porte en lui dépend de son histoire personnelle. Ceux qui ont bénéficié d'interlocuteurs émotionnels réels, dans leur prime enfance ou à l'âge adulte, ont tendance en revanche à faire confiance à leurs état d'âme.

    Mais il existe une situation plus grave encore que celle où notre entourage ne valide pas nos réactions émotionnelles. C'est lorsqu'il fait tout pour les briser. Cela s'appelle la honte.

    La honte est tueuse d'émotions et conduit à se cacher des choses

    L'amour peut cacher la haine et inversement. Dans la pièce de Victor Hugo Angelo, tyran de Padoue, l'espion qui poursuit une femme de sa haine déclare: "Quand on a tant aimé une femme, et qu'elle vous a humilié à ce point, on n'éprouve pas pour elle de l'amour, oh non, on n'éprouve pas pour elle de la haine, oh non, on la hait d'amour!" Haïr d'amour est possible. Rithy Panh l'illustre tragiquement dans son film S21, la machine de mort khmer rouge: l'un des tortionnaires confie s'être acharné sur une femme et avoir découvert que c'était parce qu'il était en secret amoureux d'elle. Faire honte à quelqu'un peut engendrer l'inaffectivité. La honte atteint le sentiment d'appartenance, sentiment d'être exclu. Elle entraîne alors une confusion et une dissolution de la personnalité, rempart contre les menaces de tous ordres. Cela conduit à un anéantissement psychique: "Identifier cette honte enfouie est d'autant plus important qu'elle peut conduire à s'exclure soi-même." Pour combattre la honte, Charlie Chaplin a beaucoup utilisé l'humour.

    Une autre manière de cacher la honte consiste à cultiver une attitude qui ne lui donne jamais prise. On cultive une sorte de prétention qui nous met hors d'atteinte de tout jugement social. Cela conduit à une forme d'ambition démesurée, d'orgueil et de mépris pour les autres. Ces personnes réagissent de façon totalement démesurée toutes les fois où elles redoutent d'être dévalorisées, même en l'absence de toute menace objective. Elles gardent des traces  d'une identification à ceux qui les ont humiliés. Si la honte reste cachée, la culpabilité peut prendre la première place et ces personnes peuvent éprouver du mépris face à ceux qui les aiment ou les admirent. (p.52)

    La tyrannie des émotions prescrites

    Lorsqu'on nous force à ressentir des émotions que nous n'éprouvons pas, on parle d'émotions prescrites. Certaines émotions que nous ressentons ont été introduites de force à l'intérieur de nous-mêmes. Cela s'appelle la tyrannie des émotions prescrites que l'enfant peut confondre avec les siennes propres. Nombreux sont les enfants qui ont honte de dévoiler les sévices qu'ils ont reçus comme s'ils en étaient eux-mêmes coupables. Ils croient qu'ils en sont responsables, que cela vient d'eux.

    Les émotions de proximité

    Il arrive souvent que l'enfant s'approprie les émotions du parent dont il est proche en croyant que ce sont les siennes. Cela arrive fréquemment lorsqu'une personne est dans une grande dépendance émotionnelle. (p.86) Le drame secret d'un parent peut susciter des émotions indésirables chez l'enfant. Au sein de la famille, pour éviter des situations de secret très pesante, les événements doivent être évoqués mais non racontés dans le détail. Il faut privilégier l'évocation tranquille et apaisée des drames personnels.

    En conclusion, les émotions sont très importantes dans la construction de la personnalité et une mauvaise gestion de celles-ci peut entraîner des troubles psychiques graves. Il faut être capable de distinguer les émotions vraies, des émotions prescrites ou de proximité qui ne nous appartiennent pas et dont il faut pourvoir se détacher pour que notre être profond puisse s'épanouir. Comme l'explique Serge Tisseron, "le temps est une valeur maîtresse du travail psychologique." (p.204). Rien ne doit être imposé, on doit respecter le rythme de l'autre et le sien en faisant preuve d'indulgence.

    Bibliographie

    Vérités et mensonges de nos émotions, Serge Tisseron, éditions Albin Michel, 2005.

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  • Comment est considérée la folie dans l'Antiquité?

     

    Antiquité et sociothérapie

     

    C’est avec Hippocrate, en Grèce,  qu’a lieu le véritable partage de la médecine, de la magie et de la religion et que l’on assiste à la naissance de la psychiatrie.Il se refuse à voir dans les troubles mentaux des manifestations surnaturelles ou religieuses ; il est convaincu que la folie, comme toute maladie, a une cause organique :« Les maladies ont une cause naturelle et non surnaturelle, cause que l’on peut étudier et comprendre ».

    La santé de la cité, comme la santé de l’âme dépend du même équilibre intérieur basé sur le respect de certaines règles de sagesse et d’organisation. La cité, comme l’âme, peut tomber malade et ses troubles s’exprimer par des déséquilibres, des débordements de passions incontrôlées. Ainsi, il s’avère parfois nécessaire de soigner les maux de la cité, parce que la santé de l’un dépend aussi de la santé de tous. La folie a donc une dimension sociale, et la notion de soin qui s’en dégage implique la responsabilité de toute la communauté.

    Selon Aristote, l’homme exclu, retiré de la cité, est un être dégradé qui ne peut être que malheureux.

    La psychiatrie, déjà, suppose une prise en charge collective.

    Chez les Romains: : les explications sont très variables. On passe d'explications religieuses basées sur le surnaturel à des explications plus philosophiques (cf: Cicéron).

     

    -Chez les Romains :

    La pratique de l’art médical et l’approche de la psychologie héritées des Grecs sont obligées de s’accorder avec le christianisme naissant. On assiste forcément au retour des explications mystiques et religieuses de la folie.

    Si les Grecs avaient bien fait la différence entre la maladie (« nosos ») et le mal (« kakos »), les Romains confondent les deux :

    « Mobus » veut dire maladie et chagrin.

    « Malum » exprime à la fois le mal, le malheur et la maladie.

    « Salus » réunit la santé et le salut.

    Celse, médecin sous l’empereur Auguste et auteur du « De arte medica », renoue avec la démonologie, le charlatanisme et développe des méthodes de traitement plus anti-maléfiques que curatives.

    Il décrit l’Épilepsie comme une possession.
    Selon lui, la peur représente le seul traitement possible de la folie; grâce à elle, on peut guérir le malade en chassant les mauvais esprits qui l’habitent .
    Il recommande donc les jeûnes, les privations, les réprimandes, l’usage des chaînes et de l’isolement.

    Galien, médecin à Rome, est un rationaliste convaincu dont l’influence pèsera sur la médecine occidentale pendant très longtemps. Il adapte les théories d’Hippocrate aux exigences de la foi monothéiste chrétienne : les troubles mentaux ne peuvent s’expliquer que par des lésions physiologiques. Ainsi, il pense que la mélancolie est due à la bile noire et les délires aigus à la bile jaune.

    Malgré tout, il continue d’y avoir des gens pour défendre les thèses psychologiques d’explication de la folie, et heureusement, on en rencontrera tout au long de l’histoire.

    Le médecin Asclépiade, qui exerce à Rome, fonde une École qui s’oppose aux doctrines organiques d’Hippocrate. Il est persuadé que les maladies mentales ont souvent des causes affectives. Il prescrit des bains, des massages, du vin, de la musique, des chambres confortables et des traitements humains aux malades.

    Sans être médecin, le philosophe Ciceron s’intéresse aux troubles mentaux et se fait le précurseur de la médecine psychosomatique en reconnaissant l’importance des facteurs psychologiques dans certains maux physiques.Il n’associe pas la mélancolie à une perturbation de la bile noire, mais à des troubles affectifs. Selon lui, le remède à la maladie de l’âme est la « volonté » .

    Il rejoint ainsi les philosophes grecs qui pensent que l’homme peut devenir responsable de son comportement, normal ou anormal, de sa maladie ou de sa santé. La philosophie peut l' aider à acquérir cette connaissance de lui-même, indispensable pour qu’il découvre qu’il a en lui les possibilités de se soigner et de se guérir. Actuellement, on n’appelle plus cela philosophie, mais psychothérapie.

     

    En conclusion, l’Antiquité reste une noble période, riche d’enseignement, qui, sans avoir bénéficié de nos connaissances scientifiques, a su développer cette nécessaire approche psychosociale de la maladie mentale que le XX e siècle devrait lui envier. La folie est vue comme un mal social et c'est en groupe qu'on en vient à bout.

     

    Sources

    La plupart des informations de cet article proviennent de ce site très intéressant, rédigé par un infirmier en psychiatrie:

    http://sineurbe.blogspot.fr/2008/08/lantiquite-ou-les-bases-de-la.html

    Bibliographie

    Histoire des maladies mentales
    Michel Collée et Claude Quétel
    Presses universitaires de France. 1994

    Histoire de la psychiatrie
    Yves Pélicier
    Presses universitaires de France. 1976

    Histoire de la psychiatrie
    F.G. Alexander et S.T. Selesnick
    Armand colin. 1972

    Histoire de la folie à l’âge classique
    Michel Foucault
    Gallimard. 1972

    Le secteur psychiatrique
    M. Claude George et Yvette Tourné
    Presses universitaires de France. 1994

    DSM III - DSM IV
    Manuels diagnostiques et statistiques des troubles mentaux
    Masson. 1987-1994

    Les nouveaux visages de la folie
    J.Pierre Olié et Christian Spadone
    Odile Jacob. 1993

    Des paradis plein la tête
    Édouard Zarifian
    Odile Jacob. 1994

    La folie Histoire et dictionnaire
    Jean Thuillier
    Robert Laffont. 1996

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  •   Joseph Roth fut l'un des journalistes les plus réputés de la ville de Weimar en raison de l'élégance de sa plume et de la précision de son regard. Né en Galicie, dans l'actuelle Ukraine, il vit ensuite dans la capitale de l'empire austro-hongrois, à Vienne, pour terminer ses jours à Paris. Marqué par la folie et notamment celle de sa femme, Friedl, ayant sombré dans la schizophrénie et le mutisme, il évoque ce thème dans ses lettres, à la fin de sa vie, alors qu'il est désespéré et rongé par l'alcool. Anéanti par des conditions matérielles difficiles, par une relation amoureuse déstabilisante, par la montée du nazisme en Europe et l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne hitlérienne, il sombre dans l'alcool. Il meurt en mai 1939 d'une crise de "delirium tremens". Il continuera d'écrire jusqu'au bout, malgré son désarroi, 10 heures par jour. Il dira à ce propos: "J'écris chaque jour dans le seul but de me perdre dans des destins imaginaires." Dans cette lettre de février 1936 adressée à son ami Stephan Zweig, il met en avant son désespoir, lui pour qui la vie est devenue un cauchemar. Il se décrit comme "un homme qui est à moitié un cadavre, à moitié un insensé." Dans son dernier ouvrage, "La Légende de Saint Buveur", il parle d'un homme sans abri (son double?) s'étant laissé aspirer par l'alcool et qui meurt à la fin en pensant à Sainte Thérèse (de Lisieux).

                                                                                                                                                                         Hôtel Foyot, Paris, février 1936

      Cher ami,

      [...]Je me promène avec la langue sèche et assoiffée, un vagabond qui passe son temps à quémander avec la langue pendante et en remuant la queue. Comment pourrais-je me permettre de ne pas chercher à signer de nouveaux contrats, à vendre mes prochains livres? De toute façon, je ne parviens même pas à décrocher de contrat. Que dois-je faire maintenant, aujourd'hui, la semaine prochaine? Toutes vos réflexions qui en soi sont parfaitement justes, n'ont dans le cas présent aucun fondement. Il suffirait que vous vous mettiez à ma place (vous en êtes capable), que vous imaginiez à quoi ressemblent mes journées, je vous en ai décrit le déroulement. Je n'ai plus de nuits. Je reste debout jusqu'à trois heures du matin, puis je me couche tout habillé jusqu'à quatre heures, je me réveille à cinq heures et je déambule comme une âme en peine à travers la pièce. Voilà deux semaines que je n'ai pas ôté mes vêtements. Vous savez bien ce que représente le temps, une heure est un lac, une journée une mer, la nuit une éternité, le réveil une angoisse infernale, et se lever, c'est tenter de retrouver toute sa lucidité pour combattre un cauchemar malin et enfiévré. Avoir du temps, du temps, du temps, voilà ce qu'il faut et je n'en ai pas. Un contrat arrivera dans deux semaines, dans trois semaines une réponse d'Amérique, on dit ces mots sans penser à ce qu'ils veulent dire vraiment - et pourtant que d'énergie vitale je vais perdre pendant ces deux semaines! Pour rien! Pour rien!  Voilà ce que je suis: un homme rabaissé, humilié, endetté et qui pourtant sourit, mais qui sourit avec les dents serrées (un tour de force vraiment acrobatique!) pour que le patron de l'hôtel ne se rende compte de rien, un homme qui a la main crispée sur la plume et qui s'agrippe à la bride pour retenir une idée qui vient de se présenter et qui déjà s'en va au galop, un homme qui a parfois aussi la faim au ventre, ou qui est prêt à s'assoupir au bout de trois phrases -alors pourquoi attendre, pourquoi exiger de la patience de la part d'un tel homme, qui est à moitié un cadavre, à moitié un insensé? Que puis-je faire d'autre que d'écrire des livres? Je ne peux même plus m'engager dans l'armée, le seul métier que j'ai jamais eu, je suis trop vieux et malade. Des dettes, des fantômes, des privations, et écrire, parler, sourire et pas de costume, pas de chemise, pas de chaussures et cent bouches grandes ouvertes, affamées, et quémander pour les remplir, et des fantômes, des fantômes tout autour de moi, sans cesse. Et quelle existence je traîne derrière moi? Que voulez-vous, mon cher ami? Comme vous parvenez à bien décrire les choses, et comme les conseils que vous me donnez me semblent étrangers! Vous savez pourtant tout! Vous faites surgir au jour ce qu'il y a de plus caché et vous avez une vision juste de ce qui est manifeste. A moins que ce qui est manifeste ne vous échappe? Je ne peux pas proposer des scénarios de film sur le marché anglo-saxon et faire concurrence à Léo Lania et consorts, à Paul Frischauer - non, je ne suis pas capable. Je vous en prie, cher ami, prenez à la lettre tout ce que je viens de vous dire. Je vais sombrer irrémédiablement dans la maladie ou la folie, peut-être est - ce déjà fait. Ne m'en veuillez pas et soyez assuré de toute l'amitié chaleureuse que vous porte votre

                                                                                                                                                       Joseph Roth. 

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