• Vérités et mensonges de nos émotions-Serge Tisseron

    Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste. Il s'intéresse aux différentes émotions qui nous constituent en tentant de distinguer le bon grain de l'ivraie, nos vraies émotions, celles qui proviennent de notre être et les fausses émotions -émotions prescrites ou de proximité- qu'on emprunte à un autre, un parent par exemple.

    Le traumatisme génère le retrait émotionnel

    Aujourd'hui, en Occident,  le retrait émotionnel n'est plus guère le résultat d'une méthode de conditionnement et il se rencontre plutôt comme la conséquence d'un traumatisme. Chacun peut le constater autour de lui. Une victime d'agression fait parfois le récit de ce qui lui est arrivé comme si cela concernait quelqu'un d'autre. Quand on l'écoute, on est frappé par le fait qu'elle ne manifeste aucune émotion. A la limite, plus le traumatisme a été grave, plus cette anesthésie émotionnelle risque de s'imposer. Il en a été beaucoup question à l'occasion du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration. Un rescapé avait recours à l'image d'une dent dévitalisée: pour lui, les survivants des camps avaient l'apparence d'êtres humains, mais ils ne l'étaient plus car quelque chose avait été définitivement tué à l'intérieur d'eux. (p.26)

    L'absence d'écoute des émotions peut entraîner le manque de confiance en soi

    Quand un enfant a grandi dans un environnement peu attentif à ses émotions ou qui en a fait alterner brutalement des contradictoires, il devient souvent un adulte peu sûr de lui. (p.36) Il craint de ressentir des émotions inadaptées ou inconvenantes et de se faire rejeter s'il les manifestait. La fiabilité du partenaire émotionnel que chacun porte en lui dépend de son histoire personnelle. Ceux qui ont bénéficié d'interlocuteurs émotionnels réels, dans leur prime enfance ou à l'âge adulte, ont tendance en revanche à faire confiance à leurs état d'âme.

    Mais il existe une situation plus grave encore que celle où notre entourage ne valide pas nos réactions émotionnelles. C'est lorsqu'il fait tout pour les briser. Cela s'appelle la honte.

    La honte est tueuse d'émotions et conduit à se cacher des choses

    L'amour peut cacher la haine et inversement. Dans la pièce de Victor Hugo Angelo, tyran de Padoue, l'espion qui poursuit une femme de sa haine déclare: "Quand on a tant aimé une femme, et qu'elle vous a humilié à ce point, on n'éprouve pas pour elle de l'amour, oh non, on n'éprouve pas pour elle de la haine, oh non, on la hait d'amour!" Haïr d'amour est possible. Rithy Panh l'illustre tragiquement dans son film S21, la machine de mort khmer rouge: l'un des tortionnaires confie s'être acharné sur une femme et avoir découvert que c'était parce qu'il était en secret amoureux d'elle. Faire honte à quelqu'un peut engendrer l'inaffectivité. La honte atteint le sentiment d'appartenance, sentiment d'être exclu. Elle entraîne alors une confusion et une dissolution de la personnalité, rempart contre les menaces de tous ordres. Cela conduit à un anéantissement psychique: "Identifier cette honte enfouie est d'autant plus important qu'elle peut conduire à s'exclure soi-même." Pour combattre la honte, Charlie Chaplin a beaucoup utilisé l'humour.

    Une autre manière de cacher la honte consiste à cultiver une attitude qui ne lui donne jamais prise. On cultive une sorte de prétention qui nous met hors d'atteinte de tout jugement social. Cela conduit à une forme d'ambition démesurée, d'orgueil et de mépris pour les autres. Ces personnes réagissent de façon totalement démesurée toutes les fois où elles redoutent d'être dévalorisées, même en l'absence de toute menace objective. Elles gardent des traces  d'une identification à ceux qui les ont humiliés. Si la honte reste cachée, la culpabilité peut prendre la première place et ces personnes peuvent éprouver du mépris face à ceux qui les aiment ou les admirent. (p.52)

    La tyrannie des émotions prescrites

    Lorsqu'on nous force à ressentir des émotions que nous n'éprouvons pas, on parle d'émotions prescrites. Certaines émotions que nous ressentons ont été introduites de force à l'intérieur de nous-mêmes. Cela s'appelle la tyrannie des émotions prescrites que l'enfant peut confondre avec les siennes propres. Nombreux sont les enfants qui ont honte de dévoiler les sévices qu'ils ont reçus comme s'ils en étaient eux-mêmes coupables. Ils croient qu'ils en sont responsables, que cela vient d'eux.

    Les émotions de proximité

    Il arrive souvent que l'enfant s'approprie les émotions du parent dont il est proche en croyant que ce sont les siennes. Cela arrive fréquemment lorsqu'une personne est dans une grande dépendance émotionnelle. (p.86) Le drame secret d'un parent peut susciter des émotions indésirables chez l'enfant. Au sein de la famille, pour éviter des situations de secret très pesante, les événements doivent être évoqués mais non racontés dans le détail. Il faut privilégier l'évocation tranquille et apaisée des drames personnels.

    En conclusion, les émotions sont très importantes dans la construction de la personnalité et une mauvaise gestion de celles-ci peut entraîner des troubles psychiques graves. Il faut être capable de distinguer les émotions vraies, des émotions prescrites ou de proximité qui ne nous appartiennent pas et dont il faut pourvoir se détacher pour que notre être profond puisse s'épanouir. Comme l'explique Serge Tisseron, "le temps est une valeur maîtresse du travail psychologique." (p.204). Rien ne doit être imposé, on doit respecter le rythme de l'autre et le sien en faisant preuve d'indulgence.

    Bibliographie

    Vérités et mensonges de nos émotions, Serge Tisseron, éditions Albin Michel, 2005.

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