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Qu'est-ce qu'un grand artiste selon Paul Diel?
Paul Diel, psychologue français d'origine autrichienne, s'est penché sur la question de l'art et des liens qu'il entretient avec la psychologie et la spiritualité. Il s'interroge dans ce passage du symbolisme dans la mythologie grecque sur ce qu'est un véritable artiste, mais aussi sur les écueils qui peuvent traverser son chemin. Il fait réfléchir sur la façon de bien gérer son esprit pour s'épanouir et créer l'harmonie entre les êtres vivants en s'appuyant sur le mythe d'Icare qui connaît l'ascension, puis la chute à un âge qui pourrait correspondre à l'adolescence, période d'exaltation imaginative.
"Pour compéter les données psychiques développées jusqu'ici, il est à souligner que l'alternance périodique entre élévation et chute caractérise un tout autre type d'homme que celui que figure Icare. Le besoin d'ascension, lorsqu'il n'est pas épuisé par l'effervescence exaltative de l'adolescence finit fréquemment par revêtir une forme intermittente étendue sur toute la vie de l'individu. Le sujet soumis à cette répétition périodique d'élévations et de chutes reste plus ou moins maladivement fixé aux exaltations de la jeunesse. Il ne deviendra jamais un homme mûr. Cet aspect de la déformation s'observe le plus fréquemment chez un type d'hommes caractérisé par l'aspiration vers un des trois domaines de la vie de l'esprit (vérité, beauté, bonté). C'est surtout l'aspiration vers les productions artistiques qui contient un risque supplémentaire d'échouer dans la périodicité des chutes. L'artiste en mal de maturation prétextera être obligé de connaître la vie sous toutes ces formes, pour pouvoir en recréer tous les aspects. Il confondra la connaissance clairvoyante de la perversion avec la chute obnubilante. Les créateurs artistiques les plus doués sont souvent des hommes déchirés intérieurement par l'alternance entre l'élévation et la chute. Aussi, constate-t-on que la forme torturée, et le contenu tourmenté de leurs productions (miroir de leur vie), n'expriment souvent que cette déchéance intérieure: les affres de la culpabilité et le tourment de l'aspiration spirituelle sentimentalement et vaniteusement exaltées. Les productions de la psyché déchirée témoignent d'une vie diminuée, exempte de toute joie sublime, rayonnante et calme. Cette joie, devenue inaccessible, n'est pas un sentiment passager, mais un état d'âme caractéristique de l'effort d'élévation constante. L'incapacité de vivre et d'exprimer par l'art cette sensation sublime qui seule couronne, parfait et harmonise la vie est l'indice incontestable d'une impuissance partielle, d'une diminution -du moins qualitative- de la force vitale et de la vigueur créatrice. Cette impuissance relative dans la création est le contraire parfait de ce que les chutes et rechutes avaient la prétention de réaliser: l'expérience et l'expression de la vie sous toutes ses formes. Une telle production, qualitativement diminuée, peut néanmoins mériter l'estime, pour peu qu'elle soit un cri sincère, ne serait-ce qu'un cri de souffrance. Elle exprime du moins en toute vérité un côté de la vie: le châtiment essentiel, le tourment de la coulpe. Mais l'oeuvre demeurera néanmoins incomplète, plus ou moins déformée, grimaçante et malsaine, et ne saurait entièrement satisfaire que ceux qui, eux-mêmes déchirés, y retrouveront l'expression de leurs propres tourments coupables. L'artiste accompli est celui qui sait exprimer avec la même véracité, avec la même objectivité, donc sans exaltation, la chute et l'élévation, le tourment et la joie de la vie. C'est-à-dire que l'artiste, en se libérant lui-même, a gagné une distance objective envers la vie et ses complications. L'artiste psychiquement déchiré, si doué soit-il, ne peut se soustraire à la diminution qualitative de sa puissance créatrice que s'il parvient à ne plus gaspiller une partie de son énergie dans des chutes répétées, donc s'il réussit à se maintenir à un certain niveau d'élévation, s'il reste non plus vaniteusement exalté, mais sublimement enthousiasmé."
Paul Diel, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, édition petite bibliothèque Payot, pp.72-74
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