• Fou et emprisonné

    De plus en plus de malades mentaux sont incarcérés, un article de Laurence Guignard et Hervé Guillemain nous en explique les raisons.

    Extraits :

    Disparition de l'asile, incarcération des malades

    Selon une enquête de 2004, entre un cinquième et un quart des prisonniers peuvent être considérés comme psychotiques. Ce taux est encore plus élevé pour les longues peines. Dix pour cent des 60 000 détenus souffrent à divers degrés de schizophrénie et l’observation médicale des entrants paraît confirmer l’accentuation de cette évolution depuis quelques années, particulièrement en France. Ce phénomène s’explique par la conjonction de différents facteurs historiques qui relèvent du domaine médical et judicaire.

    Pour comprendre la présence massive des fous en prison, ne faut-il pas considérer les transformations qui affectent l’institution psychiatrique elle-même ? L’asile, qui a été la forme dominante de prise en charge des malades durant un siècle et demi, a disparu. Si le référent hospitalier subsiste, il est désormais ouvert et n’est plus qu’un élément de soin dans un réseau de structures de tailles réduites, dispersées sur tout le territoire. La rationalisation hospitalière enclenchée dans les années 1980 et accélérée aujourd’hui a conduit à une diminution très importante du nombre de lits disponibles en psychiatrie – de 83 000 à 40 000 entre 1987 et 2000 –, alors que la population concernée a fortement augmenté durant la même période pour dépasser le million. La durée moyenne de séjour dans un centre hospitalier spécialisé (CHS) a été fortement réduite : les malades ne restent plus une année comme il y a trente ans, mais moins d’un mois. Dans ce cadre, le recours massif aux psychotropes s’impose. La saturation des structures a pour conséquence de laisser dans la rue un nombre croissant de malades qui sont souvent des précaires sans domicile, parfois des petits délinquants, qui se retrouvent facilement en prison. Les secteurs de psychiatrie, dont les personnels sont moins nombreux qu’auparavant et dont les lieux de contention ont été réduits, sont moins aptes à prendre en charge des patients difficiles, notamment ceux qui viennent du secteur judiciaire.

    Est-on responsable de ses actes quand on est fou ? Peut-on se contrôler en phase de délire ?

    La distinction entre prison et hôpital psychiatrique découle du principe d’irresponsabilité pénale des aliénés mentaux qui se formalise avec le Code pénal de 1810 et son célèbre article 64 : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ». Cet article, qui a prévalu jusqu’en 1994, impose de tracer une frontière stricte entre fous et criminels. Mais la définition de cette frontière devient rapidement problématique. Le principe puise à des sources anciennes, puisqu’il est déjà présent dans le droit romain, puis dans le droit canon, dans la théologie de la faute et la philosophie morale. Il est si ancien qu’il fait presque figure d’archaïsme au moment de sa rédaction, ne serait-ce que par l’utilisation du terme « démence », déjà désuet sur le plan des conceptions médicales. Mais il est confronté, au cours du XIXe siècle, à une évolution médicale et judiciaire qui noue autour de l’article 64 la problématique contemporaine de la responsabilité.

    À partir de cette moindre distinction théorique entre folie et criminalité, qui se prolonge au XXe siècle, les quinze dernières années sont marquées par plusieurs transformations qui ont fait entrer massivement la folie en prison. L’article 122-1 qui a remplacé l’article 64 dans le nouveau Code pénal de 1994 rend moins automatique le non-lieu pour les malades mentaux. Il précise notamment : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ». Les conséquences judiciaires ont été rapides. Les décisions d’irresponsabilité pénale déclinent depuis les années 1990, puisqu’on est passé, en valeur absolue, de 611 cas annuels en 1989 à 203 en 2004

    On a trouvé le remède à la maladie :

    Or cette évolution intervient alors que le rôle et les fondements de l’expertise psychiatrique sont remis en question. Les médecins experts ont recours à la notion d’altération du jugement, non seulement parce qu’ils subissent une pression sociale forte – liée à une association trop rapide entre dangerosité et maladie mentale –, mais aussi par l’usage qu’ils font d’arguments thérapeutiques. Par exemple, Michel Bénézech a montré comment certains psychiatres ont contribué à renforcer l’idée de vertu curative de la peine.

    Le système de comparution immédiate, fondé sur la rapidité des procédures, est un piège pour les sujets souffrant de troubles psychiques : même lorsqu’une expertise psychiatrique peut être requise, celle-ci n’autorise pas la suspension de la détention. Pour un délit mineur et une peine courte, le malade subit la prison au lieu d’être hospitalisé. Les psychiatres de maison d’arrêt prennent en charge des malades délirants qui n’ont jamais vu un médecin. À quand la généralisation de ces « consternants procès des malades mentaux », spectacle désolant de malades gênés par leur traitement médical et ne parvenant pas à se défendre ?

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