• Elyn Saks - autobiographie II

    <figure class=" ob-pull-left ob-media-left ob-img-size-300 "> Elyn Saks - autobiographie II </figure>

    J’ai sept ou huit ans, je me tiens dans le salon encombré de notre maison confortable, admirant le jour ensoleillé.

    « Papa, pouvons-nous aller à la cabane et nager ? »

    Il me répond d’un ton sec, « je t’ai dit que j’ai du travail, Elyn, et de toute façon, il va peut-être pleuvoir. Combien de fois dois-je te répéter la même chose ? Ecoutes-tu jamais ? »

    Mon cœur s’assombrit au ton de sa voix : je l’ai déçu. Puis quelque chose d’étrange se produit. Ma conscience (de moi-même, de lui, de la pièce, de la réalité physique autour et au-delà de nous) devient, tout à coup, trouble. Ou bancale. J’ai la sensation de me dissoudre. Je me sens – mon esprit se sent – comme un château de sable qui s’effondre dans les vagues.

    Que m’arrive-t-il ? C’est effrayant, par pitié, arrêtez-ça ! » Je me dis que peut être si je me tiens très tranquille, cela va cesser. Cette expérience est bien plus difficile et bizarre à décrire que la peur ou la terreur extrême. La plupart des gens savent ce qu’est la peur intense. S’ils ne l’ont pas ressentie eux-mêmes, ils ont au moins vu un film ou lu un livre ou parlé à un ami effrayé – ils peuvent au moins se l’imaginer.

    Mais expliquer ce que j’en suis venue à nommer la « désorganisation » est un bien plus grand défi. La conscience perd peu à peu sa cohérence. Son propre centre cède. Le centre s’effondre. Le « Moi » devient un brouillard et le centre solide d’où on perçoit la réalité se brise comme un signal radio défectueux. Il n’existe plus de point de vue solide pour observer, pour se saisir des choses, pour juger de ce qui se passe.

    Il n’y a plus de centre reliant solidement les choses les unes aux autres, donnant les verres pour voir le monde, pour raisonner et comprendre les risques. Des instants aléatoires se succèdent. La vue, les sons, les pensées et les émotions ne vont plus de pair. Plus aucun principe organisateur ne se saisit des instants successifs ni ne les assemble en un tout cohérent à partir duquel le monde prend sens. Et tout se passe au ralenti.

    Bien sûr, mon père ne s’est pas rendu compte de ce qui m’arrivait puisque tout était intérieur. Et, toute effrayée que je fus à cet instant, je sus intuitivement que je devais le lui cacher, à lui et à tout autre. Cette intuition – que c’était un secret à garder – tout comme les autres talents de cachette que j’appris pour gérer ma maladie, devinrent des composants centraux de mon expérience de la schizophrénie.

    Un matin, tôt, alors que j’avais environ dix ans, tous étaient partis de la maison pour un instant, et, pour quelque raison dont je peux plus me souvenir, je fus seule, à attendre leur retour. Il y avait un coucher de soleil et l’instant d’après, tout était sombre. Où étaient-ils tous ? Ils avaient dit qu’ils seraient de retour maintenant… Soudain, je fus absolument sure d’entendre quelqu’un forcer l’entrée.

    En réalité, ce n’était pas tant un bruit qu’une certitude, une sorte de conscience. Une menace. C’est cet homme, me dis-je. Il sait qu’aucun adulte n’est là, il sait que je suis seule ici. Que devrais-je faire ? Je vais me cacher dans cette armoire. Rester silencieuse. Respirer doucement. Respirer doucement.

    J’attendis dans l’armoire, saisie de terreur et entourée de noir, jusqu’au retour de mes parents. Cela dura sans soute une heure mais ce me parut une éternité. « Maman ! » dis-je en suffocant, alors que j’ouvris la porte de l’armoire et que je les fis tous deux sursauter. « Papa ! Quelqu’un est à l’intérieur. L’avez-vous vu ? Allez-vous bien tous les deux ? Pourquoi… pourquoi êtes-vous rentrés si tard ? »

    Ils se regardèrent simplement tous deux, puis mon père hocha la tête. « Il n’y a personne ici, Elyn » dit-il. « Personne n’est entré dans la maison. C’est ton imagination. » J’insistais cependant. « Non, non, je l’ai entendu. Il y avait quelqu’un. Va voir, s’il te plait. » Soupirant, mon père parcouru la maison. « Il n’y a personne ici. » Le ton n’était pas tant rassurant que méprisant.

    Mes sentiments de danger imminent ne cessèrent jamais, mais je n’en parlai plus jamais à mes parents. La plupart des enfants éprouvent ces peurs, dans une maison ou une pièce vides ou même dans une pièce familière qui parait soudain étrange quand la lumière s’éteint.

    Pour la plupart, ces peurs disparaissent avec l’âge, les autres parviennent d’une façon ou d’une autre à intercaler leur pensée rationnelle entre eux et le croque-mitaine. Mais je ne parvins jamais à le faire. Et, en dépit des compétitions vives avec mes frères, de mes bonnes notes, ou du sentiment de puissance que j’éprouvais à faire du ski nautique ou du vélo, je commençais à me rétrécir en moi-même, alors même que je grandissais.

    J’étais certaine que les autres se rendaient compte à quel point j’étais terrorisée, timide, inadaptée. J’étais certaine qu’ils parlaient de moi quand j’entrais dans une pièce ou quand j’en sortais.

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