• Thomas Insel: la portable thérapie (un article de Philosophie Magazine)

    Ce qui m'inquiète un peu dans ce travail de recherche, c'est l'ingérence que cela entraine dans la vie du malade. Mais à priori, ce serait avec son consentement. Il faudrait donc des enquêtes de terrain pour le prouver... (remarque faite par une des rédactrices du blog).

    Thomas Insel. La portable thérapie

     

    Publié dans

    n°115
    Décembre 2017 - Janvier 2018

    « La maladie mentale n’est pas pour moi ce qu’elle était pour Michel Foucault, une construction de la raison. C’est un dysfonctionnement du cerveau dont on est en passe de trouver une solution technologique. » Tom Insel n’est pas un charlatan. C’est une star de la psychiatrie américaine. Étudiant prodige, entré à l’université à 15 ans, il a d’abord fait de la philosophie. Après avoir dirigé pendant treize ans le National Institute for Mental Health (NIMH) – l’agence américaine de la santé mentale –, où il a distribué des millions de dollars de fonds publics à la recherche, « sans résultats vraiment probants », et a convaincu le président Obama de lancer la Brain Initiative, un projet de cartographie du cerveau disposant d’un budget annuel de 100 millions de dollars, il a basculé « du côté obscur ». Chez Verily d’abord, la branche « technologie de la santé » de Google, puis au sein d’une start-up, Mindstrong, qui met au point des outils de détection et de prévention de la maladie mentale. 

    Pourquoi ce virage ? « J’ai été acteur et témoin d’une révo­lution qui n’a pas encore trouvé sa traduction opératoire. Je cherche à l’accomplir. » Insel part d’un constat saisissant. Pour les pathologies sévères du corps, une prodigieuse chute de la mortalité s’est opérée grâce aux pro­grès de la détection précoce : « Près de 60 % dans le cas des cancers, des millions d’attaques cardiaques évitées, même le sida est dorénavant considéré comme une maladie chronique. » Si l’on confronte ces résultats à ceux de la psychiatrie, « je mérite d’être viré », ironise Insel, les taux de morbidité et de mortalité de la dépression, de la schizophrénie ou de l’autisme n’ayant quasiment pas bougé. De même que ceux du suicide. « Par ses répercussions sur les jeunes et les classes défavorisées moins protégées, c’est un problème de droits civils », ose-t-il. Pourtant, la neuropsychiatrie nous a livré une toute nouvelle compréhension de « ces désordres du cerveau » conçus comme des troubles de la connexion. « Dans les deux dernières décennies, on est devenu capable de cartographier les activités du cerveau et de voir qu’il se comporte différemment quand vous êtes déprimés, anxieux ou psychotiques. Le défi est maintenant de détecter ces désordres avant même qu’ils ne se manifestent sous la forme de symptômes. »

    À cet effet, nous avons sous la main un outil aussi improbable qu’efficient : le téléphone portable ! « Jusqu’ici, on demandait au patient de remplir un questionnaire et on le recevait une fois par mois pour décider s’il était toujours en dépression. Le smartphone apporte un suivi de son comportement dans son environnement quotidien. Grâce à lui, on pourra avoir une idée claire de la manière dont ses pensées, ses comportements et ses humeurs changent, capter les tout premiers signes de la maladie. » Que le portable qui enregistre mes déplacements puisse m’inciter à exercer davantage mon cœur, je le conçois. Mais mes humeurs, comment les capte-t-il ? « On a pu établir des corrélations précises entre la manière dont vous écrivez et dont vous surfez sur votre téléphone, et ce qui se passe dans votre tête. On appelle cela “l’empreinte digitale”. Elle est révélatrice de l’état de votre humeur et de votre cognition. Une fois le phénotype digital de l’individu établi, on pourra l’utiliser pour éviter qu’il ne se suicide. Et là aussi le portable est le bon outil : un simple coup de téléphone à un dépressif au moment opportun peut sauver une vie. »

    La détection numérique des symptômes de la pathologie mentale ne pose-t-elle pas une question éthique ? « Nous avons mis en place à Mindstrong une charte éthique. L’idée est de démontrer que les outils proposés ont une réelle efficacité thérapeutique et de tabler sur le consentement et la confiance des individus. De les rendre acteurs de leur traitement. » Alors que les critiques se multiplient contre la dimension aliénante et addictive du portable, Thomas Insel veut en faire un outil thérapeutique. Serait-il poison et remède en même temps, ce que Platon nommait un pharmakon ? « J’aime cette analogie… Le portable est le nouveau narcotique de l’esprit. »

    Par Martin Legros

    Rédacteur en chef

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