• Dans une brève de Philosophie magazine, datée du 5 décembre 2014, nous pouvons lire cet article qui réfléchit sur le taux de suicide en France, plus important chez les personnes souffrant de troubles mentaux, de dépression, chez les ouvriers et chez les personnes âgées.

     

     

    L'Observatoire national du suicide vient de publier son premier rapport en novembre 2014. L'état des lieux fait ressortir un taux de suicide important et propose des pistes de prévention, ramenant sur le devant de la scène cette réalité qu'on ne saurait voir: la souffrance et la mort, envers lesquelles la société a sa responsabilité.

    11 400 suicides, soit une mort sur cinquante, et 200 000 tentatives en France en 2011. Ce sont les chiffres consignés par l’Observatoire national du suicide, mis en place l’an passé, dans son premier état des lieux, qui vient d’être publié en novembre 2014. Il résulte de travaux débutés en 2008 et confiés à un comité présidé par le sociologue David Le Breton.

    On y découvre que le taux de suicide français (18 pour 100 000 habitants) est l’un des plus importants en Europe (dont la moyenne est de 12 pour 100 000 habitants), tandis que son espérance de vie est parmi les plus élevées ; que les hommes meurent plus en se suicidant que les femmes ; que l’on se suicide plus selon son activité professionnelles, ainsi «les agriculteurs, employés et ouvriers ont un risque de décéder par suicide deux à trois fois plus élevé que celui des cadres» ; que les minorités sexuelles sont aussi plus exposées à ce risque : 16% des homosexuels auraient tenté de suicider au cours de leur vie (contre 6% des hétérosexuels).

    Enfin, si le suicide constitue la seconde cause de mortalité chez les plus jeunes (entre 15 et 24 ans), le rapport note que « le taux de décès par suicide augmente fortement avec l’âge, et un tiers de celles et ceux qui se suicident ont plus de 60 ans. »

     

    Des constantes

    Ce constat corrobore une autre étude menée par l’OMS, publiée en septembre et portant sur le suicide à l'échelle mondiale. Les crises existentielles ou de dépression y apparaissent comme l’une des causes principales de suicide, parfois associée à l’alcoolisme et aux troubles mentaux. Le rapport souligne en outre que les problèmes d’argent, les traumatismes et la précarité comptent parmi les principaux facteurs extérieurs qui favorisent le passage à l’acte. S’agissant de l’augmentation du taux de suicide avec l’âge, une constante : les taux de suicide les plus élevés sont partout enregistrés chez les personnes de plus de 70 ans.

    Dépendantes, isolées, en perte d'autonomie, les vieillards sont partout les plus fragiles. Nous le rappelions dans une enquête menée sur la vieillesse et la dépendance : «Aux cas de défenestration dont témoignent les infirmiers s’ajoutent un fort alcoolisme et des épisodes dépressifs majeurs chez 10 % à 15 % des résidents [des Ehpad] au cours de la première année d’institutionnalisation. Ces défis lancés à l’accompagnement de la fin de vie ne peuvent être relevés par les seuls aidants naturels, enfants ou parents, ni même par les soignants. »

     

    Oser y penser

    Derrière la rudesse des chiffres énoncés par le rapport se cache une réalité massive à laquelle les Français tournent paradoxalement le dos. Ils sont 71% à déclarer se détourner de l’idée de la mort pour s’adonner en toute tranquillité aux joies de la vie longue. Martin Legros ajoutait dans le dossier « La mort, oser y penser » : « Quand l’espérance de vie était de 30 ou 40 ans ; quand un enfant sur trois mourait à la naissance ; quand la plupart des maladies étaient sans remèdes ; quand, en l’absence d’un État souverain et d’une société policée, les individus vivaient sous l’emprise de la peur de la mort violente, alors le visage des morts faisait partie intégrante de la vie. Chacun était incité à l’anticiper, à s’y préparer. À la vivre en commun avec ses proches. L’ici-bas était orienté par l’attente de l’au-delà. Et puis, soudain, en quelques siècles, ce système s’est effondré. Alors que la croyance religieuse s’effritait, la vie longue a chassé la mort hors de notre champ d’expérience. Elle s’est alors réfugiée dans les hôpitaux, où les médecins sont devenus les maîtres d’un événement médical. »

    en bref, l’idéal désormais est de mourir guéri ou en bonne santé. En témoigne la question de l’euthanasie, de la « bonne mort », qui agite régulièrement le débat public. Et même si l’Observatoire national du suicide se défend d’instruire « les questions liées à la fin de vie, qui relèvent de problématiques particulières, en tant que telles, il se nourrit des réflexions menées au sein des instances qui leur sont dédiées ».

     

    Prévenir ?

    Pour Albert Camus, auquel l’Observatoire renvoie, le suicide serait le seul « problème philosophique vraiment sérieux » suscité par la « confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Car « mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement […], l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé́ de cette agitation quotidienne et l’inutilité́ de la souffrance ». Les membre de l’Observatoire s’appuient sur la réflexion du philosophe doutant que le suicide puisse être simplement considéré comme « un acte mûrement réfléchi, qu’il serait illégitime de tenter d’empêcher ». Sur la base de cette étude, ils prévoient au contraire un plan d’action visant à prévenir le suicide. Cette ambition repose sur une conviction :

    « Les membres de l’Observatoire considèrent ainsi que la plupart des personnes qui attentent à leur vie le font non parce que la vie en général ne leur semble pas valoir la peine d’être vécue, mais parce qu’ils ne trouvent pas d’autre issue dans leur vie en particulier. Le suicide constitue un choix par défaut, lorsque les autres moyens de soulager la souffrance semblent inaccessibles. Les fortes inégalités sociales de mortalité́ par suicide montrent que cet espace des choix ne se présente pas de la même manière en haut et en bas de l’échelle sociale. La société́ contribue à façonner l’horizon des possibles des existences individuelles, la façon dont ils sont perçus, et la reconnaissance dont peuvent bénéficier ses membres ».

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  • J'ai trouvé cet article très intéressant (voir ci-dessous) pour la prise en charge et l'autonomie dans la maladie. Savoir gérer sa maladie, s'auto-discipliner est très important. Le verbe "éduquer" vient du latin ex-ducere qui signifie "sortir de soi, se développer, s'épanouir". Il est très intéressant de mettre en parallèle cette définition étymologique du mot et celle de la santé mentale donnée par l'OMS: " la santé mentale est un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés de la vie, de travailler avec succès, de manière productive et d'apporter une contribution à la société." On voit qu'éduquer et être en bonne santé mentale vont ensemble. Prendre soin de soi demande des efforts et exige un certain nombre de règles à respecter. S'aimer soi-même s'apprend. Eduquer une personne, c'est développer ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie. C'est pourquoi recevoir une bonne éducation est une immense richesse et un travail de tous les instants.

     

    "La vie de tous les jours, l'emploi de son corps et de son temps, l'usage des plaisirs et les techniques de soi, voilà le fond de toute quête philosophique". Michel Onfray - né en 1959

     

    L'éducation thérapeutique

     

     

     

    L'éducation thérapeutique

    L’origine du mot « Education » est « ex ducere » et signifie faire sortir de soi, développer, épanouir.

    L’éducation thérapeutique est un processus qui se construit par étapes dans le cadre d’une prise en charge médicale d’un patient. Ce processus s’inscrit dans un parcours de santé et est intégré à la démarche de soins. Vivre avec une maladie fait appel à différentes compétences : des connaissances sur la maladie et le traitement, des gestes, des prises de décision, des compétences d’adaptation (parler de sa maladie, oser dire …). Il existe une part d’information et de conseils, mais informer et conseiller ne suffisent pas à rendre le patient compétent. L’acquisition des compétences nécessite un apprentissage long et progressif et implique un soutien psychologique et social. L’éducation thérapeutique envisagée comme éducation au traitement paraît être une définition restrictive. Cet apprentissage a également un rôle thérapeutique. Il va participer aux soins. Comprendre la maladie et le traitement doit permettre de mieux adhérer, de donner du sens aux différents gestes. Cet apprentissage doit aider à se soigner, à prendre soin de soi.

     

    Le patient a le pouvoir par son comportement d’adapter le traitement. L’éducation thérapeutique a pour but de développer des compétences d’auto-soin et d’adaptation dans le cadre d’une relation éducative patient-soignant, relation de partenariat et de confiance qui doit aboutir à un accord thérapeutique. Le soignant ne perd pas de vue ses objectifs médicaux de santé pour le patient. Ces objectifs doivent être discutés et être en accord avec les besoins du patient, ses capacités et ses compétences.

     

    La maladie chronique est au carrefour de 4 paramètres :

    • La maladie, souvent non guérissable, parfois silencieuse avec des décompensations possibles, dont l’évolution peut être liée au mode de vie

    • Le traitement et l’hygiène de vie, importants pour la survie et la morbidité, assurés par le patient, impliquent une discipline quotidienne

    • Le patient, son attitude peut influencer l'évolution, il doit gérer son traitement selon ou en dépit des facteurs liés à sa vie personnelle, il doit être formé pour agir rapidement en cas de besoins aigus

     

    • Le soignant prescrit un traitement mais ne contrôle pas la maladie directement, il doit partager son savoir avec le patient, il doit assurer le soutien psychologique, il doit rester vigilant par rapport aux évènements aigus ou aux complications ultérieures

     

    L’éducation thérapeutique est donc un transfert planifié et organisé des connaissances du soignant vers la patient pour donner au patient les moyens de faire des choix : "Mieux un malade connaît sa maladie, moins il la craint et plus il est capable de la gérer correctement " (Anne Lacroix). Il est donc important de donner des informations pertinentes adaptées aux besoins du patient, il ne s’agit pas d’une accumulation d'informations. L’accompagnement dans cette relation éducative a pour but de favoriser la motivation et doit aboutir à un changement de comportement.

     

    L’éducation thérapeutique en pédiatrie devra s’adapter aux caractéristiques de l’enfant

     

    L’enfant est en développement physique, cognitif et psychoaffectif, il évolue par stade (Piaget), chacun à son rythme. L’évolution cognitive est indissociable de l’évolution affective. Ceci a pour conséquences de planifier une progression dans l'apprentissage avec la nécessité d'intégrer l'étape antérieure pour accéder à la suivante et de définir des objectifs adaptés à la maturité et au développement de l'enfant ou de l'adolescent. L’enfant en grandissant doit pouvoir s’approprier la maladie et le traitement.

     

    Le processus d’éducation thérapeutique doit permettre d’évaluer, de développer et de renforcer les connaissances déclaratives. Il doit permettre de laisser émerger le caractère émotionnel, de comprendre les relations contraintes – enjeux, de permettre une appropriation des connaissances pour faire des choix et acquérir une autonomie adaptée à l’âge. L’enfant doit apprendre à prendre soin de lui-même pour lui-même et non pour faire plaisir.

    Liens externes:

    Pour ceux qui veulent lire l'article en entier. Le voici:

    http://www.dufmcepp.ups-tlse.fr/app_scom/scom_fichier/repertoire/101118111707.pdf

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  • Entreprendre pour Aider est un fonds de dotation dont le but est d'aider financièrement les structures existantes permettant aux personnes souffrant de troubles psychologiques de s’intégrer et de se développer dans la société.

    Leur objectif :

    « Qu’ils soient autistes, trisomiques, schizophrènes, bipolaires, dépressifs, paranoïaques… ils ont tous les mêmes rêves : avoir des amis, des loisirs, être reconnus pour leurs talents, apprendre un métier, être intégrés dans la société…

    Des organismes qui tentent de répondre à leurs espoirs, il en existe déjà beaucoup, et qui font un travail remarquable. Notre but n’est pas d’en créer d’autres. Notre but est de leur proposer une aide financière, mais aussi, si leurs responsables le désirent, une collaboration : une réflexion commune, des idées nouvelles… »

    Leur action :

    Suivant la vocation d’Entreprendre pour Aider, nous avons noué des liens avec des organismes spécialisés dans l’aide, par des moyens variés, aux personnes souffrant de troubles psychiques ou mentaux.

    Notre but est de soutenir leur action dans la durée et, éventuellement, de participer avec eux à la création de nouveaux projets.

    Les organismes que nous avons choisi d’aider agissent dans les domaines de :

    ·         La recherche fondamentale et clinique, et la psychiatrie hospitalière

    ·         L’insertion sociale et professionnelle

    ·         L’art au service de la santé mentale

    Leur site internet est le suivant :

    http://www.entreprendrepouraider.org/index.html

     

     

     

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  • <figure class=" ob-pull-left ob-media-left ob-img-size-300 "> Le modèle biopsychosocial </figure>

    Plusieurs tendances s’affrontent en psychiatrie, il y a les tenants du modèle purement biologique qui considèrent les troubles mentaux comme des maladies biologiques traitables par médicaments, il y a d’autre part ceux qui privilégient l’approche psycho-thérapeutique et là encore plusieurs et même de nombreuses tendances existent : les psychanalystes, les comportementalistes, etc.

    Le modèle biopsychosocial théorisé par Engel tend à faire l’équilibre entre les composantes biologiques, psychologiques et sociales des troubles et à préconiser un traitement qui s’écarte du modèle réducteur de la biologie pure. Ci-dessous un article publié par Anne Berquin de l’université de Louvain en Belgique.

    Lien : http://rms.medhyg.ch/numero-258-page-1511.htm

    Résumé

    Malgré ses limites, le modèle biopsychosocial est le modèle médical le plus abouti dont nous disposons à ce jour. Il reste pourtant mal compris et mal utilisé. Sur le plan théorique, cet ensemble d’hypothèses explicatives de la santé considère facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sur un pied d’égalité, dans un système de causalités complexes, multiples et circulaires. Une pratique clinique inspirée du modèle biopsychosocial intègre en permanence les perspectives biologique, psychologique et sociale et nécessite une participation active du patient, dont le corollaire est une importance accrue des aspects éducationnels. La relation thérapeutique est donc profondément modifiée. Une meilleure diffusion du modèle biopsychosocial nécessite un ajustement de l’enseignement, de la recherche et du financement de l’acte intellectuel.

    Introduction

    Plus de trente ans après avoir été proposé par Engel,1,2 le modèle biopsychosocial reste étonnamment mal compris et mal utilisé. Nombreux en effet sont les soignants qui le réduisent à un supplément d’empathie, à ces petites attentions destinées à «humaniser les soins»... et dont on peut à la rigueur se passer lorsque le temps est compté. Nombreux également sont les soignants qui le considèrent comme synonyme de «psy», comme signifiant que certaines maladies résulteraient uniquement d’une problématique émotionnelle. D’autres enfin l’assimilent à une démarche «holistique» aux relents alternatifs, voire mystiques, suspects et incompatibles avec une démarche scientifique rigoureuse. Pourtant, un modèle biopsychosocial bien compris et correctement intégré dans la démarche clinique est un outil diagnostique et thérapeutique puissant, applicable à de nombreuses problématiques de santé. Pour illustrer cette thèse, nous proposerons quelques brefs exemples avant de rappeler les apports théoriques et cliniques principaux du modèle biopsychosocial.

    Quelques exemples

    Le développement cérébral, loin d’être entièrement déterminé par le programme génétique, est largement influencé par des facteurs relationnels, affectifs et environnementaux. Des phénomènes de sélection neuronale renforcent les circuits fortement stimulés et éliminent les circuits inutilisés ou redondants.3 Par exemple, une privation affective précoce induit des perturbations sévères et irréversibles du développement cérébral, résultant en diverses altérations comportementales.4Le modèle biomédical est donc insuffisant pour expliquer la structure micro-architecturale du cerveau.

    Dans le domaine cardiovasculaire, l’implication de facteurs psychosociaux comme le stress dans le développement ou l’entretien de diverses affections n’est plus à démontrer.5 Notons d’ailleurs qu’un article fondateur du modèle biopsychosocial présente un cas d’infarctus.2 Pourtant, les algorithmes d’évaluation du risque coronaire (algorithmes de Framingham,www.framinghamheartstudy.org) ne prennent pas ces facteurs en considération. Le fait de négliger le contexte psychosocial du patient équivaut à se priver d’outils diagnostiques et pronostiques dont la pertinence a pourtant été documentée.

    Dans le domaine de la lombalgie, les facteurs psychosociaux sont de meilleurs prédicteurs du risque de passage à la chronicité que les facteurs biologiques ou biomécaniques. Par exemple, un élément hautement corrélé à un arrêt de travail prolongé est la croyance du patient, exprimée dès l’installation d’une lombalgie aiguë, qu’il ne sera pas capable de reprendre le travail six mois plus tard.6 D’autre part, la croyance que le mal de dos signale une fragilité lombaire et la crainte de lésions potentiellement aggravées par le mouvement peuvent motiver un comportement d’évitement des activités, générant des cercles vicieux qui entretiennent la douleur et le handicap. Ce modèle de «peur-évitement» a inspiré des stratégies thérapeutiques d’exposition progressive aux activités perçues – à tort – comme dangereuses, qui permettent une amélioration significative des capacités fonctionnelles et même de la douleur.7 Cet exemple illustre l’intérêt d’une démarche couplant une évaluation globale du patient – notamment de ses croyances – avec des stratégies thérapeutiques ciblant directement les facteurs psychosociaux problématiques.

    Un dernier exemple concerne l’effet placebo, et son corollaire, l’effet nocebo, longtemps considérés comme la preuve que certains symptômes sont imaginaires. Les travaux de ces dernières années montrent qu’ils intriquent des effets psychobiologiques reproductibles, déterminés par les attentes des patients concernant leur traitement, des processus de conditionnement classique ainsi que d’autres mécanismes d’apprentissage.8 Ces effets sont sous-tendus par des modifications de synthèse de neurotransmetteurs et neuromodulateurs, par exemple l’activation de systèmes opioïdergiques et non opioïdergiques suite à l’administration d’un placebo présenté comme antalgique. Les attentes d’un patient concernant son traitement ont donc des effets observables sur le fonctionnement cérébral que le modèle biomédical serait bien en peine d’expliquer.

    Qu’est-ce que le modèle biopsychosocial ?

    Le modèle biopsychosocial est à la fois un modèle théorique, c’est-à-dire un ensemble cohérent et articulé d’hypothèses explicatives de la santé et de la maladie, et un outil clinique, c’est-à-dire un ensemble de moyens diagnostiques et thérapeutiques directement applicables.

    Sur le plan théorique, il s’agit d’une représentation de l’être humain dans laquelle les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sont considérés comme participant simultanément au maintien de la santé ou au développement de la maladie. Aucune de ces trois catégories de déterminants de la santé ne se voit accorder de prépondérance a priori (même si l’on conçoit que leur importance relative puisse varier). Le modèle biopsychosocial est donc un élargissement du modèle biomédical : les facteurs biologiques y gardent toute leur place. Il ne s’agit pas d’une conception psychologique ou psychiatrisante – ni sociologisante – de la maladie. De plus, il faut souligner que le terme «psychologique» réfère essentiellement à des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux normaux, relevant entre autres de l’interprétation des symptômes par le sujet, et non à des aspects psychopathologiques.

    Quelle différence avec la psychosomatique ? Tout dépend de ce que l’on entend par «psychosomatique»… Dans son acception courante, psychosomatique rime avec imaginaire ou hystérie. Rappelons donc que ce mot fait référence aux «interactions multiples et réciproques entre le psychisme et le soma», à mille lieues du «psychosomatisme», dans lequel l’influence des facteurs psychiques est abusivement amplifiée et déformée.9 Chacun d’entre nous a pu expérimenter que ce qui nous affecte émotionnellement a inévitablement des répercussions physiques (il suffit de se demander quels sont les symptômes de l’angoisse), et réciproquement (qui pourrait prétendre pouvoir vivre avec une maladie chronique sans ajustements émotionnels ?). Bien comprise, la psychosomatique n’est pas très différente du modèle biopsychosocial, si ce n’est qu’elle accorde peut-être moins d’impact aux influences sociales et environnementales.

    Les postulats anthropologiques et épistémologiques sous-jacents aux modèles biomédical et biopsychosocial, ainsi que leurs conséquences dans le domaine clinique, ont été discutés en détail ailleurs.10 Notons simplement que le modèle biopsychosocial remplace des systèmes de causalités simples et linéaires par des causalités multiples et circulaires, parfois difficiles à identifier et à contrôler. Ceci implique pour le clinicien (et le malade) une navigation souvent inconfortable entre complexité et incertitude.

    Quels sont les ingrédients d’une pratique clinique intégrant le modèle biopsychosocial ?

    Dans une pratique inspirée du modèle biomédical, l’essentiel de l’action clinique consistera à repérer et tenter de corriger des anomalies dans la «machine corporelle» : déviations de paramètres physiologiques par rapport à une norme. Dans le cadre du modèle biopsychosocial, la pratique clinique aura deux caractéristiques essentielles : un élargissement des perspectives et la participation active du patient.

    L’élargissement des perspectives traduit le fait que le soignant conserve en permanence à l’esprit la notion que les déterminants de la santé et de la maladie sont multiples et divers. Au cours de l’évaluation, il sera particulièrement sensible – en plus et non à la place du bilan somatique – à une évaluation des attitudes et croyances, des attentes, des comportements, des facteurs émotionnels et relationnels, du contexte social, culturel et professionnel. Quant aux stratégies thérapeutiques envisagées, elles comprendront, outre les modalités «traditionnelles» visant à modifier des paramètres physiologiques, divers moyens permettant d’agir sur les facteurs psychosociaux perçus comme participant au problème de santé. Plusieurs modalités différentes seront en général associées. Un critère important d’un bon fonctionnement biopsychosocial est ainsi une réelle intégration des diverses perspectives, qui implique que les dimensions biologique, psychologique et sociale soient abordées de manière simultanée (il ne s’agit pas d’envoyer le patient chez le psy après l’échec de toutes les thérapeutiques «classiques») et, si la situation du patient est particulièrement complexe, un travail en interdisciplinarité (qui implique une réelle concertation et non une simple superposition de l’action des divers intervenants).

    La participation active du patient est essentielle. Ce constat découle de l’observation que les croyances et attentes du patient influencent directement les résultats des traitements. En conséquence, les discordances entre les représentations profanes et scientifiques de la maladie doivent être discutées (cela peut prendre énormément de temps) : le corollaire de la participation active du patient est un accent particulier sur les volets d’éducation et d’information. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on appelle «éducation» : certainement pas un cours magistral dont on espère qu’il puisse «corriger les distorsions cognitives». Plutôt un cheminement socratique, dans lequel les croyances du patient sont mises à l’épreuve des faits et ainsi progressivement adaptées (exemple des croyances de peur-évitement décrites plus haut).

    On assiste donc à une modification profonde de la relation thérapeutique,11 nécessitant de développer un éventail élargi de compétences relationnelles et éducatives.

    Difficultés

    Le modèle biopsychosocial est un outil théorique et clinique permettant un abord de la santé et de la maladie plus complet et plus efficace que ne le fait le modèle biomédical. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer son relatif manque de succès auprès des soignants : méconnaissance et scepticisme, inertie ou même résistance des milieux académiques, difficulté à intégrer complexité et incertitude dans la démarche médicale, difficulté à renoncer au mirage de la toute-puissante technologie, opposition des firmes commerciales vivant du «marché biomédical», nécessité de repenser la relation soignant-soigné et de faire appel à des connaissances théoriques et des compétences relationnelles élargies, manque de temps pour rencontrer le patient dans toute sa singularité…

    Le modèle biopsychosocial présente également plusieurs limites. L’élargissement des paramètres pertinents en termes de santé au domaine psychosocial pose des problèmes d’évaluation et surtout de quantification des valeurs subjectives. Le modèle biopsychosocial reste dualiste, dans la mesure où il ne fait souvent que juxtaposer – et non réellement intégrer – paramètres biologiques, psychologiques et sociaux. En témoigne le fait que ces paramètres soient encore considérés comme appartenant à des catégories distinctes. Enfin, le modèle biopsychosocial reste réductionniste, dans la mesure où le nombre de paramètres pris en considération est limité, alors que le nombre et la variété des déterminants de la santé sont virtuellement infinis.

    Conclusion

    Malgré ses limites, le modèle biopsychosocial est le modèle théorique et clinique de la santé et de la maladie le plus abouti dons nous disposons actuellement. Promouvoir sa diffusion nécessite une adaptation de l’enseignement et de la recherche. Le financement par les pouvoirs publics d’une activité clinique dominée par l’acte intellectuel doit également être revu.12,13

    Implications pratiques

    > Le modèle biopsychosocial est significativement plus efficace que le modèle biomédical, tant en termes d’élucidation des problèmes de santé qu’en termes thérapeutiques
    > Les perspectives biologique, psychologique et sociale ne sont pas utilisées séquentiellement mais doivent être intégrées en permanence, sur un pied d’égalité et sans exclusion
    > Le terme «psychologique» ne relève pas de la psychopathologie mais réfère à des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux normaux
    > L’évaluation et le traitement accordent une importance particulière aux attitudes, croyances et attentes des patients
    > La participation active du patient et une information/éducation adéquates sont particul
    ièrement importantes

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  • Une alternative à l’hospitalisation, les familles d’accueil pour malades mentaux sont trop méconnues. Reproduction d’un article de La Croix du 28/10/2011.

    Ainay-le-Château, un village où les malades mentaux se soignent en famille

    Dans l'Allier, Ainay-le-Château s'est spécialisé, depuis plus d'un siècle, dans l'accueil de personnes atteintes de troubles psychiatriques. Reportage

    Nicolas et Stéphane vivent tous les deux avec la famille Servo. Stéphane est là depuis cinq ans, Nicolas depuis l'année dernière. Deux chambres coquettes, une cuisine et une salle de bains leur sont réservées dans une dépendance de la maison refaite à neuf. Christiane, la mère, leur prépare à manger, veille à leur hygiène, les emmène faire des courses, les soigne, les distrait… et les surveille en permanence. Car si Nicolas et Stéphane ont la trentaine, ils ne sont pas autonomes. Ils souffrent de troubles psychiatriques chroniques.

    À Ainay-le-Château et dans les environs, aux confins de l'Allier, le choix de la famille Servo n'étonne personne. Ici, la tradition d'accueil de personnes atteintes de troubles psychiatriques remonte à plus d'un siècle. « Dans les années 1900, les asiles d'aliénés parisiens accusaient une surpopulation importante. Il a alors été décidé d'envoyer les patients qui souffraient de troubles chroniques pas trop lourds en province, dans des familles "nourricières" volontaires, en échange d'une indemnisation », raconte Jean-Claude Lardy, directeur de l'hôpital interdépartemental spécialisé du village.

    UNE NOUVELLE « COLONIE FAMILIALE »

    Au départ, c'est Dun-sur-Auron dans le Cher qui a été choisi pour tenter l'expérience, avec l'idée de maintenir une économie locale dans cette région touchée par le chômage. Mais, rapidement, une nouvelle « colonie familiale » a été ouverte non loin de là, à Ainay-le-Château, et a pris beaucoup d'ampleur. « À l'époque, la plupart des malades étaient logés à la campagne et aidaient au travail des champs. Les familles assuraient essentiellement l'hôtellerie », poursuit Jean-Claude Lardy. Aujourd'hui le système est très encadré par la loi.

    Les « familles nourricières » ont pris le titre de « familles d'accueil thérapeutique » et sont sélectionnées minutieusement par l'hôpital. Psychiatres, psychologues et cadres de santé vérifient à travers différents entretiens qu'elles possèdent des locaux adaptés, qu'elles n'ont pas de problèmes sociaux importants, que les enfants sont capables de vivre avec des malades psychiatriques au quotidien, etc. Elles reçoivent ensuite un agrément de la part du directeur de l'hôpital et accueillent un ou, souvent, deux patients, pour une période variable.

    « Le placement fait partie d'un processus thérapeutique, explique encore Jean-Claude Lardy. Dans chaque famille, il y a une personne responsable du malade qui a un rôle éducatif envers lui. Cette personne est salariée de l'hôpital et suit une formation continue. Le métier d'accueillant est donc maintenant une profession à part entière, et offre un confort matériel et psychologique incomparable pour les patients. »

    UNE SOLUTION INTERMÉDIAIRE QUI PLAÎT DE PLUS EN PLUS

    Les patients qui peuvent bénéficier du système sont eux aussi triés sur le volet. La plupart ont des troubles psychiatriques chroniques importants qui les ont éloignés de leur famille d'origine et les ont menés à l'hôpital. Mais l'internement permanent n'est pas toujours nécessaire. L'accueil familial thérapeutique apparaît alors comme une solution intermédiaire qui plaît de plus en plus.

    Ainay-le-Château, qui est encore aujourd'hui le seul établissement à organiser de manière importante ce type de placement, reçoit des patients de toute la France. Actuellement, 380 personnes sont placées dans 220 familles. Stéphane et Nicolas, qui ont tous deux connu l'internement, sont conscients de leur chance. « Ils ont leur espace à eux mais partagent souvent le quotidien de la famille. Mes deux enfants et mon mari l'acceptent très bien », témoigne Christiane Servo.

    Les patients ne perdent pas pour autant le lien avec l'hôpital. Ils continuent d'être suivis par un psychiatre, et un infirmier passe les voir plusieurs fois par semaine. Ils assistent aussi dans le cadre de l'ergothérapie à des ateliers de peinture, vannerie, ferronnerie, travail à façon, alphabétisation, etc. Enfin, un cadre de santé veille en permanence à ce que le trio « patients, hôpital et accueillant » fonctionne au mieux et gère les changements de familles d'accueil, parfois nécessaires dans le cadre du projet thérapeutique. Christiane Servo, elle, fait ce métier depuis 1993 et ne le regrette pas : « J'ai déjà accueilli une petite dizaine de personnes d'âges très différents, témoigne-t-elle, et à chaque départ, c'est un déchirement. »

    Géraldine HOUOT, Ainay-le-Château (Allier)

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