•                                                                          La schizophrénie selon Minkowski

    Le but de cet article est de parler un peu du très célèbre psychiatre-thérapeute français Eugène Minkowski qui a fait évoluer la définition première de la schizophrénie proposée par Bleuler.

    L'article a aussi pour objectif de tenter de mettre des mots sur la maladie afin de séparer le bon grain de l'ivraie et de permettre à l'entourage comme à la personne atteinte de schizophrénie de savoir quels en sont les symptômes, afin d'y remédier par un travail thérapeutique.

    Qui est Minkowski?

    Minkowski est l'un des plus grands spécialistes de psychopathologie que la France ait connu. Son œuvre est d'abord structurée par une remarquable trilogie: La Schizophrénie (1927), Le temps vécu (1933), Le Traité de psychopathologie (1966).

    A partir de la philosophie bergsonienne de l'élan vital, il souligne que la base même du processus schizophrénique est une perte du contact vital avec la réalité, -à la différence de Bleuler, le créateur du mot, qui la définissait comme une dissociation de la personnalité-. Ce que le schizophrène perd, ce n'est pas la possibilité d'un simple contact sensoriel avec l'ambiance, mais bien la dynamique des contacts, c'est-à-dire tout ce qui fait le caractère vivant de la relation du sujet à autrui.

    Quelle est la définition du schizoïde selon lui?

    Selon Minkowski, la folie n'est rien d'autre que l'exagération du caractère habituel d'un individu, l'amplification de ses zones d'ombre (p.36).

    Le schizoïde oscille entre deux pôles à savoir l'hypersensibilité et l'anesthésie affective, caractérisée par une grande froideur parfois et qui fait penser que l'autre est considéré non comme un être vivant, mais comme un objet. L'obscénité de certains propos que peuvent parfois avoir les malades est lié à ce même processus: la crudité des termes sexuels devient obscène lorsque les propos sont vidés de toute affectivité. On a alors le sentiment que c'est une machine qui parle et non un être humain en phase avec son âme.

    "Pour bien faire comprendre la schizoïdie, on ne saurait trop répéter que le schizoïde n'est pas, ou trop sensible ou trop froid, mais qu'il est les deux à la fois, expliquera Minkowski."

    Le schizoïde a du mal à sortir de la colère. Le sommet de la vague se transforme en plateau qui peut durer longtemps. Par ses paroles et par ses gestes, il a tendance à entretenir son irritation intérieure, il "se monte la tête à lui-même." Il ne laisse pénétrer dans un premier temps aucune objection ou explication et n'apporte aucun correctif à son état d'âme. Les schizoïdes peuvent être froids, impassibles et dédaigneux. Mais ils sont cependant capables de sacrifices énormes au nom de l'Idée adaptée. La ténacité est parfois aveugle et dangereuse. Ils ont une prédisposition au tragique:" Son égoïsme froid, son orgueil démesuré aussi bien que son besoin perpétuel d'auto-analyse le tiennent constamment en haleine et font de sa vie un véritable calvaire, ajoute Eugène Minkowski."

    Le schizoïde est assez souvent insociable. Il l'est tantôt parce qu'il cherche à mettre son âme hypersensible à l'abri des couleurs trop vives, des sons trop forts, des heurts trop brutaux de la vie quotidienne. Il se replie sur lui-même, en préférant son monde intérieur, sa rêverie. Tantôt c'est en raison de son anesthésie affective qu'il néglige le contact avec d'autres êtres humains, il n'en éprouve aucun besoin et s'en désintéresse (p.55). On dit qu'il y a une "vitre de verre" entre eux et le monde.

    La schizophrénie est une maladie de la DIRECTION (p.269). Il s'agit d'un dérèglement des facultés, d'une déviation, déterminée par une perte de contact avec la réalité.

    Quelle attitude doit avoir un bon psychiatre?

    Il faut développer le concept de psychiatre psychothérapeute trop peu en vogue. L'effort thérapeutique consiste en un tâtonnement, des essais à l'aveuglette, mais avec un psychiatre qui CROIT à la guérison de son malade. La foi est un élément de guérison (p.270). Le fait de nommer la maladie est important afin de trouver les médicaments adéquats ainsi que les techniques thérapeutiques. Eugène Minkowski pense que la schizophrénie se guérit, que les comportements pathologiques peuvent trouver une issue positive dans la recherche d'un équilibre. Le thérapeute doit tenter de ramener le patient à un meilleur contact avec la réalité en créant un lien affectif là justement où l'autre en manque.

    L'attitude du thérapeute doit être plein de foi:"disons ici seulement que le fait même d'aborder le malade comme individu pouvant guérir influe, sans même que nous nous en rendions toujours nettement compte, sur toute notre attitude à son égard, influe sur le personnel, sur la famille, sur tout l'entourage et tend ainsi à diminuer cette force hostile qu'est pour le malade la réalité, dont il s'écarte de plus en plus."

    Bibliographie

    Eugène Minkowski- La Schizophrénie, édition Payot, 1927, réédité en 2002.

    Liens externes

    Très bel article de Lana intitulé "Schizophrène entre autre":

    http://blogschizo.wordpress.com/2014/03/11/schizophrene-entre-autre/

    Je crois qu'il est important de ne pas réduire une personne à sa maladie et c'est aussi le but de cet article: parvenir à faire la part des choses entre les symptômes et la personne avec ses qualités, ses singularités et ses coups de génie parfois!

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  • Une personne anonyme, fréquentant le blog, a accepté de répondre à quelques questions et de donner son point de vue sur la schizophrénie qu'elle a elle-même vécue, montrant avec une véritable acuité sa capacité à analyser la maladie et à en saisir l'essentiel, tout en proposant des pistes pour sortir de la désespérance.

     

    1- Pensez-vous que l'existence de sous-types de schizophrénie (ex:schizophrénie paranoïque, catatonique ou dysthymique) permet d'avancer dans le soin de la maladie? A quoi servent ces distinctions à votre avis?

    Je ne sais pas vraiment, il me semble qu'il y a un continuum et que ces distinctions ne sont pas aussi tranchées dans le temps et selon les individus, on peut éprouver certains ou tout de ces symptômes à différentes phases de la vie. Encore une fois, je ne suis pas spécialiste.

    2-Je regrette pour ma part que dans les livres évoquant les troubles schizophréniques, seuls les symptômes soient pointés du doigt sans donner de pistes à l'entourage pour avancer. On ne propose jamais que ce conseil: consulter votre médecin et faites en parallèle une psychothérapie. Or, on sait que certaines personnes atteintes de schizophrénie ne se sentent pas bien soignées et n'ont pas totalement confiance en la médecine. Alors, que faire? Céder au découragement ou faire des recherches soi-même?

     

    On n'a pas véritablement d'autre choix que de faire confiance en la médecine, c'est une maladie trop grave pour la prendre à la légère, ce n'est pas un simple rhume qu'on peut traiter avec des placebos. Les traitements neuroleptiques ont montré leur efficacité, les psychothérapies aussi dans une certaine mesure. Le problème vient surtout du manque de soins véritables pour les patients qui sont souvent livrés à l'abandon à la suite de l'hospitalisation. Comment bien se soigner si on n'est pas bien intégré dans la société? Le problème est évident pour les personnes à la rue. Il faudrait mettre en place un environnement social véritable, que les patients aient des liens sociaux réels et chaleureux et qu'ils ne soient pas considérés comme des objets encombrants. Un point négatif est le pessimisme non justifié quant à l'évolution de la maladie, beaucoup s'en sortent et ils échappent au regard de la psychiatrie, il faudrait mettre l'accent sur cela et en comprendre les mécanismes. Une étude scientifique a montré que dans les pays les moins avancés, les patients récupéraient mieux, on émet l'hypothèse que la maladie est moins stigmatisée et que les relations sociales sont plus fortes. Une remise en cause du modèle de soin et de sociabilisation est nécessaire. 

    3-Pourriez-vous évoquer la différence entre les symptômes positifs et négatifs dans la schizophrénie? Les médicaments aident-ils à supporter ces deux types de symptômes?

     

    Les symptômes dits positifs sont ceux qui manifestent le délire, les hallucinations, les symptômes négatifs concernent le repli sur soi, pour faire simple. Les neuroleptiques agissent sur les symptômes positifs mais peu sur les symptômes négatifs.

    4-Quels sont à votre avis les meilleurs choix à faire pour aller mieux?

    Suivre son traitement, éviter les excès, le stress, ne pas prendre de substances toxiques, manger sainement, avoir une activité physique, s'efforcer de travailler pour se socialiser et pour avoir un but positif dans la vie, faire fonctionner son cerveau et essayer de cultiver les relations avec les amis, ne pas couper les ponts avec la famille. Tout un programme parfois bien difficile à mettre en place mais il ne faut jamais se décourager, tout pas en avant est une victoire.

    5-Pourquoi les diagnostics, en matière de schizophrénie, sont-ils si désespérants? La médecine elle-même ne pourrait-elle pas avouer son impuissance et davantage faire de recherches plutôt que de dire qu'il s'agit d'une maladie incurable, car on ne sait pas bien la soigner?

    Cela remonte à un siècle, aux débuts de la "découverte" de la maladie, elle était décrite comme incurable et comme dégénérative, les patients ne pouvaient qu'empirer. Depuis, de nombreuses études ont montré que ce n'était pas le cas. La médecine n'est pas impuissante mais elle n'est pas miraculeuse. Des recherches sont faites mais les résultats se font attendre. Il faut explorer plusieurs pistes et s'inspirer des expériences alternatives qui ont été réalisées avec succès et validées scientifiquement. Il est bien entendu important d'éviter à tout prix les expériences des "gourous" et autres charlatans, il faut trouver la bonne mesure.

    6-La santé mentale semble être un sujet un peu délaissé aujourd'hui? Pourquoi à votre avis? En effet, elle ne concerne pas seulement 1% des gens de la population (les schizophrènes) mais tout le monde. Rappelons que le rapport de l'OMS de mai 2014 disait que la maladie N°1 des adolescents dans le monde était la dépression. Alors, pourquoi une telle fuite du problème?

    On considère souvent les malades mentaux comme des parias.On retrouve beaucoup de malades mentaux  à la rue ou en prison, un phénomène de détérioration de la société extrêmement grave. Les personnes concernées doivent réagir.

    Un avis éclairé sur la schizophrénie
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  •  Critères de détection de la schizophrénie 

    Certaines personnes se demandent si elles sont ou non atteintes de la schizophrénie. Beaucoup de psychiatres ne nomment pas le mal. Pourquoi? Volonté de ne pas stigmatiser ou celle d'infantiliser? Les psychiatres savent-ils exactement (signe d'une forme de leur incompétence ou impuissance)?A quoi cela sert-il de nommer? Peut-on guérir sans savoir précisément de quel mal souffre la personne et quelles solutions apporter? Se responsabiliser, n'est-ce pas savoir de quoi on souffre afin d'en sortir?

    Le DSM IV peut être considéré comme la "Bible" des psychiatres. C'est un ouvrage qui définit les maladies en fonction de certains critères scientifiques. Dans le cas de la schizophrénie, voici les critères:

    A. Symptômes caractéristiques : deux ou plus des manifestations suivantes sont présentes, chacune pendant une partie significative du temps pendant une période d’un mois (ou moins quand elles répondent favorablement au traitement) :

    1.Idées délirantes

    2.Hallucinations

    3.Discours désorganisé (c.-à-d., coq-à-l’âne fréquents ou incohérence)

    4.Comportement grossièrement désorganisé ou catatonique (= période de passivité et de négativisme)

    5.Symptômes négatifs, comme par exemple un émoussement affectif ou une perte de la volonté

     

    On distingue les symptômes positifs associés à l'excès ou la distorsion des fonctions normales (telles que le délire, les hallucinations, le discours désorganisé) ou des symptômes négatifs associés à une diminution ou une perte des fonctions normales (absence de réponse émotionnelle, diminution de l'intérêt et de la motivation pour les fonctions sociales et interpersonnelles).

    N.B. : Un seul symptôme du critère A est requis si les idées délirantes sont bizarres ou si les hallucinations consistent en une voix commentant en permanence le comportement ou les pensées du sujet, ou si, dans les hallucinations plusieurs voix conversent entre elles.

    B. Disfonctionnement social / des activités : pendant une partie significative du temps depuis la survenue de la perturbation, un ou plusieurs domaines majeurs du fonctionnement tels que le travail, les relations interpersonnelles, ou les soins personnels sont nettement inférieurs au niveau atteint avant la survenue de la perturbation (ou, en cas de survenue dans l’enfance ou dans l’adolescence, incapacité à éteindre le niveau de réalisation interpersonnelle, scolaire, ou dans d’autres activités auxquelles on aurait pu s’attendre).

    C. Durée : Des signes permanents de la perturbation persistent pendant au moins 6 mois.

    Il existe des SOUS-TYPES de schizophrénie:

    -schizophrénie paranoïde:

    A. Préoccupation par une ou plusieurs idées délirantes ou par des hallucinations auditives fréquentes

    B. Aucune des manifestations suivantes n'est au premier plan : discours désorganisé, comportement désorganisé ou catatonique ou affect abrasé ou inapproprié.

    -schizophrénie désorganisée

    A. Toutes les manifestations suivantes sont au premier plan :

    1.Discours désorganisé

    2.Comportement désorganisé

    3.Affect abrasé (=usé par frottement) ou inapproprié

    B. Ne répond pas au critères du type catatonique

    -schizophrénie catatonique

    Présence d'au moins 2 des manifestations suivantes :

    1.Immobilité motrice se manifestant par une catalepsie (comprenant une flexibilité cireuse catatonique) ou une stupeur catatonique

    2.Activité motrice excessive (apparemment stérile et non influencée par les stimulations exterieures)

    3.Négativisme extrême (résistance immotivée à tout ordre ou maintien d'une position rigide s'opposant aux tentatives de mobilisation passive) ou mutisme

    4.Posture catatonique (maintien d'une position inappropriée ou bizarre), mouvements stéréotypés, maniérismes manifestes, grimaces manifestes

    5.Echolalie (=répéter de façon systématique une partie des phrases de l'interlocuteur) ou échopraxie (=imiter une partie des mouvements de l'interlocuteur).

    Les cas limites:

    -schizophrénie dysthymique:

    C'est Kasanin, en 1933, qui propose le terme de psychose aigüe schizo-affective pour décrire un tableau clinique dans lequel se mélangent des symptômes schizophréniques tels que le délire, l'hallucination, la dissociation avec des troubles majeurs de l'humeur (dépressifs, maniaques ou mixtes) congruent ou non au délire. La clinique démontre que les troubles schizo-affectifs durent de trois à quatre mois et sont généralement suivis de périodes d'accalmie pendant lesquelles ne subsistent qu'une symptomatologie résiduelle, voire aucun trouble psychique majeur. Actuellement, en raison des intervalles libres de symptômes psychiatriques, la clinique moderne inclut les tableaux schizo-affectifs dans la psychose bipolaire (maniaco-dépressive) ou en constitue une entité distincte intermédiaire entre les troubles schizophréniques et les troubles bipolaires maniaco-dépressifs.

    Selon Kretschmer, toute personnalité possède 2 pôles (maladie bipolaire). Le tempérament schizoïde se meut entre hyperesthésie (sensibilité exacerbée des différents sens) et anesthésie affective, et le sujet éprouve les 2 effets de manière simultanée. Il est à la fois trop sensible et trop froid. (Minkowski, 1997, p.25.)

    Les troubles schizo-affectifs sont répertoriés dans le DSM-IV-TR (295.70) et dans la CIM-10 (F25.x). (voir ce lien: http://www.memoireonline.com/01/11/4209/m_La-creativite-en-musicotherapie-aupres-de-personnes-schizophrenes-comme-re-creation-de-soi-d8.html).

    Ce passage sur l'explication de la schizophrénie dysthymique est extrait d'un mémoire intitulé: "La créativité en musicothérapie auprès de personnes schizophrènes comme re-création de soi d'un point de vue phénoménologique" par Aude Cassina Université des Arts de Zurich (Suisse) - Master of Advanced Studies en musicothérapie clinique 2010.

    Voici le sommaire de ce mémoire qui me semble passionnant puisqu'elle étudie les relations entre création et folie:

    http://www.memoireonline.com/01/11/4209/m_La-creativite-en-musicotherapie-aupres-de-personnes-schizophrenes-comme-re-creation-de-soi-d.html

     

    En conclusion, à quoi sert-il de nommer? Je dirai que cela permet à la famille et au malade de se responsabiliser et de savoir distinguer le bon grain (la personne bien, en bonne santé) de l'ivraie (les symptômes de la maladie). A partir des symptômes décrits, quand le dialogue est possible, il serait intéressant d'en discuter, de savoir ce que l'entourage peut faire dans ces moments, en écoutant la personne malade qui saurait dire ce qui lui fait le plus de bien. Je trouve que l'attitude qui consiste à infantiliser la personne malade ou à la stigmatiser est vraiment négative. Il faut savoir écouter dans les moments de rémission et faire la part des choses. La personne malade peut elle-même se renseigner et tenter de s'autocontrôler lorsqu'elle sait que ce sont des signes de la maladie en allant vers ce qui fait du bien, ce qui rend joyeux. Mais personne ne peut vouloir à la place de l'autre.

    Il faut savoir aussi que nous sommes tous malades à des degrés différents, puisque la définition de la santé mentale selon l'OMS, c'est la capacité à réaliser son plein potentiel: qui en est véritablement capable? La différence entre quelqu'un dit "normal" et une personne malade, c'est le degré de souffrance, rien de plus. Nul être n'a le droit de prendre le dessus sur un autre. Il n'y a pas ceux qui savent d'un côté et les autres. Il y a juste ceux qui souffrent le plus, que cela handicape et que chacun doit tenter d'aider comme il le peut, puisque personne n'est à l'abri. Si on se regarde bien, personne n'est exempt de troubles. La santé mentale, on en parle peu et pourtant, c'est comme la santé physique, cela se travaille (bien penser, bien aimer, évoluer spirituellement etc...). Un sujet d'avenir!

     

    Liens externes

    Résumé des critères du DSM IV: http://www.cercle-d-excellence-psy.org/informations/cim-10-et-dsm-ivr/dsm-ivr/schizophrenie-f20/

    Très bon article de psychologies magazine: http://www.psychologies.com/Moi/Problemes-psy/Troubles-Maladies-psy/Articles-et-Dossiers/Schizophrenie-quand-faut-il-s-inquieter

    La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile.

    Hippocrate (père de la médecine)

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  • "Penser est difficile, c'est pourquoi la plupart se font juges."

    K.G.Jung

    Questionnaire N° 2 sur la schizophrénie : comment la comprendre ?

    Une personne, ayant été atteinte de schizophrénie, a accepté de répondre à ce questionnaire de façon anonyme. Voici ce qu'elle en dit:

    Les bons réflexes de l’entourage

    1-Vous parliez dans le précédent questionnaire de « bons réflexes » à avoir lorsqu’on est avec quelqu’un qui a subi la maladie ? Pourriez-vous donner une liste de ces réflexes que l’entourage devrait mettre en place ?

    La personne malade a besoin de calme et de sécurité. Il faut éviter de la brusquer et de la contraindre à faire ce qui lui est impossible. Il faut comprendre qu’elle vit une épreuve terrible que bien peu pourraient imaginer et qu’ils seraient incapables de surmonter. Si cela leur tombait dessus d’un coup, ils seraient terrassés. La moindre chose peut avoir des proportions gigantesques, il est important de rester humble, modéré, bienveillant. Créer un climat d’apaisement et montrer sa tendresse ou son amour sans avoir d’exigences qui ne peuvent pas être atteintes. Le problème du jugement

    2-Vous disiez qu’il est important de ne pas juger ? Qu’entendez-vous par jugement ? Quelles sont les pensées qui dérangent et donnent envie de se replier sur soi-même ?

    Parfois la personne malade a un comportement ou des expressions que les gens « normaux » considèrent bizarre ou déplacé. Il faut savoir que cela prend tout son sens quand on connait le cheminement de la pensée de celui qui souffre. Ce n’est pas illogique, c’est la réaction raisonnable à une situation extraordinaire que personne ne connait en dehors d’eux. Il ne faut pas projeter ses sentiments de valeur vers celui qui vit dans un autre univers. Il ne faut pas non plus étiqueter comme fou quelqu’un qui subit cette épreuve. D’une part elle souffre terriblement et d’autre part elle fait au mieux avec ses moyens ce que personne d’autre ne pourrait faire. Il faut comprendre que les personnes normales n’ont jamais été confrontées à cet extrême des sensations et n’ont aucune idée de la façon dont elles réagiraient. Elles doivent se considérer comme heureuses d’en être prémunies et tenter de se montrer solidaires tout en sachant que le mystère leur est pratiquement impénétrable.

    2bis-Comment aider quelqu’un qu’on ne comprend pas ? N’est-il pas possible de raconter ce qui se vit ? Pourquoi cette expérience est-elle indicible ? Dire que c’est incommunicable, c’est finalement créer une barrière entre le monde « normal » et « étrange » de ceux qui vivent la maladie. L’incommunicabilité, n’est-elle pas une forme d’exclusion ?

    L’expérience est indicible car elle échappe à tout ce qu’on a vécu jusque-là, tout ce qu’on nous a enseigné, tout ce que le langage qu’on maitrise nous permet d’exprimer. Tout est nouveau et incommensurable, il n’y a pas de mots pour le décrire. Pour donner une image, c’est comme si on demandait à quelqu’un de décrire en mots une extase musicale. Il arrive parfois que certains médecins parviennent à créer le contact avec une personne en délire, c’est l’exemple d’Henri Grivois, mais il lui a fallu des années d’expérience et il a dû souvent avouer son échec à vraiment comprendre.

    Le problème de la définition de la schizophrénie

    3-Pourquoi a-t-on tendance à penser que les schizophrènes ont un dédoublement de la personnalité ? C’est ainsi que certaines personnes nomment le dédoublement de la personnalité du narrateur dans le film « fightclub ». Pourquoi le mot « schizophrénie » est-il souvent utilisé dans un sens impropre ? Ne pourrait-on pas lui donner une définition précise afin que tout le monde puisse y voir clair ? En effet, si on ne peut comprendre le malade, comment l’aider ?

    La confusion est sans doute née de l’histoire du docteur Jekyll et de Mr Hyde, on y voit une personne présentant une double personnalité et cela est passé dans l’imagerie populaire comme le signe distinctif de la schizophrénie. C’est une idée très répandue mais elle ne correspond en rien à la réalité, c’est un mythe qui s’est répandu dans tous les milieux et qu’il est difficile de combattre.

    Comment gérer les crises ?

    4-Vous parliez des signes annonciateurs des crises ? Pourriez-vous les décrire ? Et dire ce que vous avez fait pour empêcher qu’ils ne deviennent trop envahissants ?

    On sent des signes, quand les symptômes commencent à réapparaitre de manière insidieuse, quand le sommeil manque, quand on est envahi de pensées étranges. Il faut savoir se reprendre, se protéger, mener une vie saine du point de vue corporel et mental. Chacun connait son remède et ce qu’il faut éviter, cela peut être le fait de se mettre au travail ou d’avoir une activité positive et reconstructive, rechercher l’entourage de personnes bienveillantes et rassurantes, retrouver une routine apaisante, mettre de côté les idées extravagantes et les situations dangereuses pour l’équilibre. Il n’y a pas de recette, chacun a sa propre expérience et ses propres remèdes.

    Les émotions et les affects

    5-Pensez-vous que des traumatismes affectifs puissent être à l’origine de cette maladie ? Si oui, lesquels ? Vous évoquiez comme central l’impossibilité à gérer ses émotions négatives. C’est bien de l’affect qu’il s’agit. Comment construit-on cette partie de nous-mêmes dans notre vie ? Quand ? Où ?

    Je ne connais pas l’origine de la maladie, d’ailleurs personne ne la connait, tous les documents scientifiques le confirment. On dit souvent que c’est une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux mais que sont ce facteurs environnementaux ? Ce qui est vrai, c’est que lorsque la maladie est déclarée, les traumatismes antérieurs sont vécus de manière amplifiée. La maladie est caractérisée par l’impossibilité de gérer ses émotions, pas seulement négatives, toutes celles que produit le cerveau et que la personne normale filtre en permanence. Ce filtre est brisé dans la maladie et la personne est exposée sans protection. Personne ne sait comment on filtre les émotions, c’est une activité inconsciente de notre cerveau qui ne dépend pas de notre volonté.

    5bis-Ne pensez-vous pas que les recherches scientifiques devraient être basées là-dessus : comment parvenir à filtrer les émotions ? On entend rarement ce type de recherche en psychiatrie. C’est bien la première fois que j’entends un discours si clair. Comment soigner si on n’a pas compris ce qui « déraillait » ? Comment trouver un remède quand on a mal diagnostiqué le problème ?

    Ce pourrait être un axe de recherche, il faudrait comprendre les mécanismes à l’origine des émotions et ce qui permet de les traiter. On en est encore bien loin, des hypothèses ont été émises impliquant certaines aires du cerveau et l’imagerie médicale les a confirmées mais on est encore bien loin de comprendre les mécanismes. Pour le moment, on soigne de manière pragmatique avec des neuroleptiques dont on a constaté les effets mais sans comprendre leur mode opératoire. Il en est de même des psychothérapies qui utilisent des techniques dont on a constaté des bienfaits mais tout reste bien mystérieux.

    6-Comment reconstruire l’affect lorsqu’il a été brisé ?

    Il faut retrouver sa dignité en tant qu’être humain inséré dans une société ou dans un groupe d’amis ou dans une relation amoureuse. Il reste toujours des traces des épreuves endurées mais il faut apprendre à les surmonter, à les sublimer et construire une personnalité nouvelle qui les dépasse. On n’oublie rien mais on peut dépasser les souffrances en les intégrant à sa personnalité et en transformant ses faiblesses en forces. Cela doit paraitre bien vague mais il y a plusieurs façons d’y parvenir, chacune a ses mérites du moment qu’on puisse réussir à vivre en paix.

    6bis-Pourriez-vous donner un exemple concret de transformation de ses faiblesses en forces ?

    Quand on a conscience de ses faiblesses et qu’on parvient à les surmonter on accède à un nouveau type de relation avec le monde. On a acquis une compréhension plus intime de soi et du monde, on sait mieux analyser ce qui se passe, notre savoir s’accroit et cela peut être utile dans bien des circonstances. Comme exemple concret, on est hypersensible en général dans cette maladie, ce qui peut nous faire extrêmement souffrir, mais si on parvient à dominer cela, on garde une sensibilité accrue qui permet de comprendre bien des choses qui échappent au commun des mortels. On peut prendre l’exemple des poètes qui ont su canaliser leur sensibilité exacerbée vers l’écriture et la description des émotions.

    Merci pour vos réponses éclairées et pleine de bon sens. Avoir vécu la folie permet de développer une grande sagesse!

    Comprendre la schizophrénie
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  • Questionnaire : est-ce facile de parler de la schizophrénie à son entourage ?

    Une personne atteinte de schizophrénie a accepté de répondre à quelques questions mais de façon anonyme, car elle craint, comme elle l’explique, la stigmatisation. Elle préfère donc ne pas révéler son identité.

    C’est moi, Sibylline, qui ai posé les questions, car elles correspondent à mes interrogations. Je n’ai jamais trouvé de réponses précises à tout ceci si bien que j’ai avancé à l’aveuglette pendant longtemps. Souvent, ce sont les psychiatres qui expliquent la maladie, mais comme ils ne l’ont pas vécue de l’intérieur, ce n’est pas toujours assez vivant. L’idée, c’est de mieux comprendre et de clarifier un lexique souvent fourre-tout et qui nous perd. Dans l’article wikipedia concernant la schizophrénie, on compte 7 types de schizophrénie. Comment s’y retrouver ?

    Comme le disait Boileau, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. » Or, dans le domaine de la schizophrénie, on rencontre de nombreuses contradictions et des flous qui ne permettent pas au commun des mortels de s’en faire une idée précise. Le questionnaire vise à apporter un peu de clarté à tout ceci.

    Si certaines personnes acceptent de répondre à quelques questions, ce serait avec plaisir (il suffit de nous écrire) afin d’étoffer un peu les connaissances en partant du vécu et non de la théorie.

     

     

    1-Lorsque nous avons vécu la schizophrénie est-il facile d’en parler à des amis ?

    En fait, je n'ai pas raconté ça à mes amis car j'avais une peur mortelle de passer pour fou, je voulais simplement apparaître "normal", ça a été le combat de toute ma vie. J'ai tout fait pour dépasser la maladie et j'ai essayé de me comporter ou d’apparaître normal bien que cela n'ait pas toujours été évident. Je n'ai jamais trouvé non plus personne qui aurait pu comprendre, les gens ont des idées préconçues et veulent t'expliquer ce que tu vis alors qu'ils n'en savent rien et que toi tu as des années de terrible expérience derrière toi.

    2-Qu’auriez-vous souhaité que les autres fassent ?

    Ce que j'aurais souhaité, c'est que quelqu'un comprenne réellement tout, c'est à dire que j'avais été malade, que je souffrais encore mais que j'étais aussi capable de raisonner que n'importe qui. En général, quand tu te déclares malade, tu es considéré automatiquement comme inférieur, avec malveillance ou bienveillance.

    3-Pensez-vous qu’il soit facile de comprendre la schizophrénie quand on ne l’a pas vécue ? Il est très difficile de comprendre la schizophrénie sans l’avoir vécue. Imaginer ce que peut être une hallucination est presque impossible, je dis presque car il existe un moyen détourné : se rappeler un cauchemar et penser que la personne vit dans la réalité ce que l’autre vit dans son cauchemar, la vision de monstres, la terreur, la paralysie. Cela correspond à la phase de délire, il existe bien d’autres symptômes : la pensée terrassée, comment se représenter qu’il est possible qu’on ne puisse plus penser ou plus exactement qu’on ne puisse plus diriger ses pensées mais qu’elles s’imposent à notre cerveau comme si une entité extérieure les amenait. Il existe aussi les symptômes négatifs, le repli sur soi, l’absence de plaisir, de volonté. On pense souvent qu’il suffit de dire à la personne de se remuer, de sortir, de voir du monde, mais c’est ne pas comprendre l’impossibilité de le faire.

    4-Pourriez-vous expliquer ce qui empêche l’action ? Pourquoi est-il impossible d’agir ?

    La personne qui souffre a besoin de calme, de repos, de sécurité pour ne pas être envahie par des stimulations qui la font souffrir à l’extrême. Sortir, voir du monde, c’est s’exposer, se mettre en péril, devenir vulnérable. Bien sûr tout n’est pas aussi catégorique et il y a des moments où la personne peut vouloir rencontrer d’autres personnes, voir des amis, nouer des liens pour sortir de l’isolement et échapper à l’emprise de la maladie ou pour se sentir « normal ». C’est là que l’entourage peut aider en créant des conditions favorables, en protégeant la personne, en l’accueillant avec générosité.

    Ces conditions sont rarement remplies car les personnes qui ne comprennent pas n’ont pas les bons réflexes même si elles ont de bonnes intentions. Ne parlons même pas de celles qui ont de mauvaises intentions. La société n’est pas accueillante pour les malades, elle est dure, impitoyable et cela empire. Il faudrait une prise de conscience pour faire changer les choses mais comment y arriver ?

    5-Quelle est la meilleure attitude à adopter lorsqu’on n’a pas vécu soi-même la maladie mais qu’on veut soutenir quelqu’un de proche qui en souffre ?

    Il faut d’abord se demander si on est prêt à aller très loin dans l’accompagnement, si on aime vraiment la personne et si on ne va pas la laisser tomber. Il faut être humble, ne pas croire qu’on comprend mieux ou tout parce qu’on est « normal ». La personne malade n’est pas dénuée de raison, au contraire, bien souvent, elle est extrêmement consciente de son malaise même si elle ne parvient pas à l’exprimer en des paroles compréhensibles par d’autres. Il faut être attentif, patient,montrer qu’on éprouve de l’affection et qu’on ne juge pas. Ne pas exiger de l’autre ce qu’il ne peut pas faire, il faut être encourageant mais aussi tolérer les failles, se dire que cela viendra en son temps. Montrer à l’autre qu’on pense à lui, ne pas le délaisser. Il faut aussi lui montrer qu’on le considère comme une personne à part entière et pas comme un cas.

     6 -Comment résumeriez-vous la maladie ? S'il fallait la résumer en une ou deux phrases que diriez-vous? Les gens souvent sont noyés dans des définitions qui se contredisent. Il y a la vision extérieure et la vision intérieure.

    Vu de l’extérieur, la schizophrénie se caractérise par des symptômes positifs (délires, hallucinations, désorganisation de la pensée, comportement mal adapté,…) et des symptômes négatifs qui surviennent souvent plus tard (repli sur soi, isolement, désintérêt pour les autres, absence de motivation…) Vu de l’intérieur, c’est une maladie qui se rapporte en premier lieu à la gestion des émotions. La personne schizophrène est submergée par un flux incontrôlable d’émotions vives et douloureuses qu’elle ne sait pas filtrer. Le cerveau n’arrive plus à trouver le repos et à fonctionner en paix, d’où l’apparente désorganisation de la pensée. En réalité, la personne est bien souvent consciente de son état mais incapable d’y faire face, la pensée n’est plus dirigée par la personne mais soumise aux caprices d’une sorte de démon intérieur. La personne a l’impression d’influencer l’univers entier par ses pensées ou par ses actes, elle en ressent une culpabilité et une terreur immense. Elle a aussi l’impression que tout s’adresse à elle, que le moindre évènement est dirigé contre elle et qu’il a une signification que le monde ignore mais qui a une importance vitale. Comme le disait une personne, dans cette maladie, tout est vital.

    7-Sauriez-vous nous expliquer ce qui permet le passage d’un moment difficile où les pensées deviennent envahissantes à un moment de calme et de sérénité ? Comment opérer cette transition ? Y a-t-il des « techniques » ? Quels conseils donneriez-vous ?

    C’est vraiment une question difficile, cela peut survenir naturellement quand la personne va mieux, quand le délire s’affaiblit. Tant que le délire est là, la personne est pratiquement impuissante à le gérer. Il faut profiter des périodes de répit pour se renforcer, pour savoir préserver son équilibre. Des exercices comme la méditation peuvent aider à gérer ses émotions et son corps en général. Il faut aussi noter les signes annonciateurs des crises et savoir se protéger quand ils apparaissent, certains y arrivent assez bien. Cela tient beaucoup de l’expérience de chacun et s’acquiert avec l’âge, il est important de reconnaitre ses faiblesses et les transformer en forces. Au risque de choquer, on peut dire aussi que certains parviennent à se renforcer par des pratiques spirituelles, par la croyance, mais c’est une affaire très personnelle, c’est à chacun de trouver sa voie.

     

     

    Merci pour ces explications très claires et qui permettent de mettre des mots sur des phénomènes difficiles à comprendre.

    Qu' en est-il de la schizophrénie?
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