• Nietzsche et la folie

     

    Dessin de Sempé sur le labyrinthe

     

                                                                            Nietzsche et la folie

    Dans" La volonté de puissance", Nietzsche congédie les vertueux et leurs leçons de bonheur. Philosophe "immoraliste et aventurier", il aspire à rencontrer  au cœur du labyrinthe "monsieur le Minotaure". De la philosophie comme tauromachie...

    "Si tant est que nous soyons des philosophes, nous autres hyperboréens, il semble cependant que nous le soyons autrement que l'on ne l'a été autrefois. Nous ne sommes pas des moralistes...Nous n'en croyons pas nos oreilles, lorsque nous entendons parler, tous ces hommes d'autrefois. "Voici le chemin du bonheur!" - c'est avec cette exclamation qu'ils se précipitent tous sur nous, avec une recette à la main, la bouche hiératique pleine d'onction. "Mais qu'importe à nous le bonheur?" -répondons-nous avec étonnement. "Voici le bonheur!" -reprennent ces saints vociférateurs endiablés: et voici la vertu, le nouveau chemin du bonheur!...Mais nous vous en prions, Messieurs. Croyez-vous donc que nous nous soucions de votre vertu! Pourquoi irions-nous donc à l'écart, nous autres, pourquoi deviendrions-nous philosophe, rhinocéros, ours des cavernes, fantôme? N'est-ce pas pour être débarrassé de la vertu et du bonheur? Nous sommes de par notre nature beaucoup trop heureux, beaucoup trop vertueux, pour ne pas voir qu'il y a une petite séduction dans le fait de devenir philosophe: c'est-à-dire immoraliste et aventurier...Nous avons pour le labyrinthe une curiosité particulière, nous tâchons, pour cela de la faire la connaissance de monsieur le Minotaure dont on raconte des choses si dangereuses. Que nous importe votre chemin qui monte, votre corde qui aide à sortir! qui aide à parvenir au bonheur et à la vertu! à parvenir jusqu'à vous, je le crains bien...Vous voulez nous sauver au moyen de votre corde! Et nous, nous vous supplions instamment de vous pendre avec!...

    A quoi sert tout cela en fin de compte! Il n'y a pas d'autre moyen pour remettre la philosophie en honneur: il faut d'abord pendre les moralistes.Tant que ceux-ci parlent de bonheur et de vertu, ils amènent tout au plus les vieilles femmes et la philosophie. Regardez-les donc en face, tous ces sages célèbres, tels qu'ils existent depuis des milliers d'années, ce sont tous des vieilles femmes, des femmes vieillottes, des mères, pour parler comme Faust. "Les mères, les mères, cela fait frissonner!" -Nous faisons de la philosophie un danger, nous en changeons l'idée, nous enseignons le phwilosophie, en tant que principe dangereux pour la vie: comment saurions-nous lui venir en aide?"

    Nietzsche, La volonté de puissance, TEL. Gallimard, 1995, livre II, 2, 167.

    Extrait du hors série Philosophie magazine sur Sempé

     

    La folie de Nietzsche

    En 1889, Nietzsche a 45 ans et vit à Turin. Il loge dans une petite auberge, située place Carlo Alberto. Le 3 janvier au matin, il est débordé par ses fantasmes, perd la raison et saute hors du monde.

    La rumeur raconte que ce jour-là, Nietzsche assiste à une scène brutale : il voit un cocher battre un vieux cheval de trait. Saisi par la pitié, sanglotant, il se jette au cou de la bête martyrisée avec un geste protecteur, puis s’effondre. Nietzsche gît à terre. Des passants s’arrêtent et l’entourent. Son logeur, Davide Fino, intrigué par l’attroupement, reconnaît le philosophe et le ramène à l’auberge. Là, dans un état crépusculaire, Nietzsche s’étend sur un sofa. Il reste muet, prostré, brisé. Il finit par s’endormir. A son réveil, il a perdu le sens de son identité, il a le sentiment d’être le Christ ou Dionysos.

    Entre le 3 et le 7 janvier, Nietzsche reste barricadé dans sa chambre. La nuit, il réveille les autres locataires de la pension par des chants, des cris, des improvisations au piano, de longs monologues bruyants. Pendant ces quatre jours, il écrit une multitude de lettres adressées au roi d’Italie (« A mon fils bien-aimé Umberto »), au Pape, à des amis et connaissances. A Georg Brandes, il envoie une lettre pleine de reconnaissance et de gratitude : « A l’ami Georg ! Après que tu m’eus découvert ce n’était plus grand chose de me trouver ; la difficulté, c’est maintenant de me perdre… » (Nietzsche, 1989). Dans ces lettres, des passages lucides et sublimes se perdent souvent dans un monde irréel, où l’imagination débridée du philosophe dérive sans gouvernail. Il envoie sa dernière lettre à Jakob Burckhardt, à Bâle, un professeur d’histoire et ami. Dans cette lettre, il se présente comme Dieu et l’invite à le rejoindre. En lisant cette lettre, Burckhardt réalise que Nietzsche a perdu la raison. Il alerte Franz Overbeck (un théologien protestant, proche de Nietzsche) qui lui-même a reçu la lettre suivante : « A l’ami Overbeck et à sa femme. Bien que vous n’ayez montré jusqu’alors qu’une foi minime dans ma solvabilité, j’espère cependant prouver encore que je suis quelqu’un qui paie ses dettes, – à vous, par exemple… A l’instant je fais fusiller tous les antisémites… Dionysos » (ibid.). Overbeck demande alors conseil au professeur L. Wille, chef de clinique de l’hôpital psychiatrique de Bâle. Wille lui suggère de partir sur-le-champ à Turin. Le soir même, Overbeck se met en route avec l’intention de rapatrier son ami.

     

    Lien externe:

    http://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2005-1-page-21.htm

     

    Une philosophie qui mène à la folie: l'orgueil du surhomme destructeur

    Interprétation personnelle:

    La philosophie de Nietzsche -que je ne classerai pour ma part pas dans la philosophie d'ailleurs- repose sur une démolition du concept de Dieu. Dieu est mort. Mais alors, quelle transcendance? L'homme doit reprendre son pouvoir, reprendre le dessus sur ce qui le dépasse. N'est-ce pas une conception  bien orgueilleuse du monde? Aucune transcendance. L'être humain devient presque un Dieu. Les Grecs parlaient d'hybris et ce défaut était sévèrement châtié, qu'on songe à Prométhée, voleur de feu ou à Icare, dont la chute lui fut fatale.

    La célèbre phrase de Nietzsche: "Périssent les faibles et les ratés! Il faut même les y aider", rappelle le peu de considération qu'il avait pour la faiblesse humaine, pour notre fragilité. Pourtant, il n'échappa pas dans son histoire personnelle à cette chute dans la déraison, lui qui se croyait tout puissant et qui vanta cette idée, lui qui voulait pendre les moralistes. La moralité, la réflexion sur le bien et le mal est pourtant essentielle. Que penser des gens qui torturent, de ceux qui violent? Inculquer la morale à nos enfants, leur donner des valeurs, c'est leur permettre de grandir dans le respect des autres. Le philosophe est l'ami de la sagesse. En était-il un? Comme le rappelle un célèbre proverbe, "ce qu'on n'apprend pas dans la sagesse, on l'apprend dans la souffrance"... Or, celui qui a congédié la morale chrétienne et la morale tout court avec autant de véhémence devint fou. Sa raison dominante ne le sauva pas. La fin de Nietzsche donne une bonne leçon de morale malgré tout -lui qui la fustigeait- et nous rappelle que les Grecs n'avaient pas tout à fait tort de rappeler que l'hybris mène au pire et que l'humilité reste notre plus grande force. L'orgueil conduit à la tragédie et l'histoire de Nietzsche le rappelle.

     

    Conclusion: Le problème est que nous vivons dans une époque nietzschéenne. La folie destructrice, conséquence de notre orgueil démesuré, nous guette... L'absence de toute moralité peut nous être fatale. Que dire à nos enfants? N'avons-nous pas besoin d'une transcendance, d'une soif d'absolu, de cultiver le divin en nous?

     

    Nietzche  par Munch (le peintre qui a peint la folie)

    « La voie du juste milieu pour trouver l'équilibre-Aristote-Ethique à EudèmeLe taux de suicide en France, l'un des plus importants en Europe (rapport novembre 2014) »
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