• Le modèle biopsychosocial

    <figure class=" ob-pull-left ob-media-left ob-img-size-300 "> Le modèle biopsychosocial </figure>

    Plusieurs tendances s’affrontent en psychiatrie, il y a les tenants du modèle purement biologique qui considèrent les troubles mentaux comme des maladies biologiques traitables par médicaments, il y a d’autre part ceux qui privilégient l’approche psycho-thérapeutique et là encore plusieurs et même de nombreuses tendances existent : les psychanalystes, les comportementalistes, etc.

    Le modèle biopsychosocial théorisé par Engel tend à faire l’équilibre entre les composantes biologiques, psychologiques et sociales des troubles et à préconiser un traitement qui s’écarte du modèle réducteur de la biologie pure. Ci-dessous un article publié par Anne Berquin de l’université de Louvain en Belgique.

    Lien : http://rms.medhyg.ch/numero-258-page-1511.htm

    Résumé

    Malgré ses limites, le modèle biopsychosocial est le modèle médical le plus abouti dont nous disposons à ce jour. Il reste pourtant mal compris et mal utilisé. Sur le plan théorique, cet ensemble d’hypothèses explicatives de la santé considère facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sur un pied d’égalité, dans un système de causalités complexes, multiples et circulaires. Une pratique clinique inspirée du modèle biopsychosocial intègre en permanence les perspectives biologique, psychologique et sociale et nécessite une participation active du patient, dont le corollaire est une importance accrue des aspects éducationnels. La relation thérapeutique est donc profondément modifiée. Une meilleure diffusion du modèle biopsychosocial nécessite un ajustement de l’enseignement, de la recherche et du financement de l’acte intellectuel.

    Introduction

    Plus de trente ans après avoir été proposé par Engel,1,2 le modèle biopsychosocial reste étonnamment mal compris et mal utilisé. Nombreux en effet sont les soignants qui le réduisent à un supplément d’empathie, à ces petites attentions destinées à «humaniser les soins»... et dont on peut à la rigueur se passer lorsque le temps est compté. Nombreux également sont les soignants qui le considèrent comme synonyme de «psy», comme signifiant que certaines maladies résulteraient uniquement d’une problématique émotionnelle. D’autres enfin l’assimilent à une démarche «holistique» aux relents alternatifs, voire mystiques, suspects et incompatibles avec une démarche scientifique rigoureuse. Pourtant, un modèle biopsychosocial bien compris et correctement intégré dans la démarche clinique est un outil diagnostique et thérapeutique puissant, applicable à de nombreuses problématiques de santé. Pour illustrer cette thèse, nous proposerons quelques brefs exemples avant de rappeler les apports théoriques et cliniques principaux du modèle biopsychosocial.

    Quelques exemples

    Le développement cérébral, loin d’être entièrement déterminé par le programme génétique, est largement influencé par des facteurs relationnels, affectifs et environnementaux. Des phénomènes de sélection neuronale renforcent les circuits fortement stimulés et éliminent les circuits inutilisés ou redondants.3 Par exemple, une privation affective précoce induit des perturbations sévères et irréversibles du développement cérébral, résultant en diverses altérations comportementales.4Le modèle biomédical est donc insuffisant pour expliquer la structure micro-architecturale du cerveau.

    Dans le domaine cardiovasculaire, l’implication de facteurs psychosociaux comme le stress dans le développement ou l’entretien de diverses affections n’est plus à démontrer.5 Notons d’ailleurs qu’un article fondateur du modèle biopsychosocial présente un cas d’infarctus.2 Pourtant, les algorithmes d’évaluation du risque coronaire (algorithmes de Framingham,www.framinghamheartstudy.org) ne prennent pas ces facteurs en considération. Le fait de négliger le contexte psychosocial du patient équivaut à se priver d’outils diagnostiques et pronostiques dont la pertinence a pourtant été documentée.

    Dans le domaine de la lombalgie, les facteurs psychosociaux sont de meilleurs prédicteurs du risque de passage à la chronicité que les facteurs biologiques ou biomécaniques. Par exemple, un élément hautement corrélé à un arrêt de travail prolongé est la croyance du patient, exprimée dès l’installation d’une lombalgie aiguë, qu’il ne sera pas capable de reprendre le travail six mois plus tard.6 D’autre part, la croyance que le mal de dos signale une fragilité lombaire et la crainte de lésions potentiellement aggravées par le mouvement peuvent motiver un comportement d’évitement des activités, générant des cercles vicieux qui entretiennent la douleur et le handicap. Ce modèle de «peur-évitement» a inspiré des stratégies thérapeutiques d’exposition progressive aux activités perçues – à tort – comme dangereuses, qui permettent une amélioration significative des capacités fonctionnelles et même de la douleur.7 Cet exemple illustre l’intérêt d’une démarche couplant une évaluation globale du patient – notamment de ses croyances – avec des stratégies thérapeutiques ciblant directement les facteurs psychosociaux problématiques.

    Un dernier exemple concerne l’effet placebo, et son corollaire, l’effet nocebo, longtemps considérés comme la preuve que certains symptômes sont imaginaires. Les travaux de ces dernières années montrent qu’ils intriquent des effets psychobiologiques reproductibles, déterminés par les attentes des patients concernant leur traitement, des processus de conditionnement classique ainsi que d’autres mécanismes d’apprentissage.8 Ces effets sont sous-tendus par des modifications de synthèse de neurotransmetteurs et neuromodulateurs, par exemple l’activation de systèmes opioïdergiques et non opioïdergiques suite à l’administration d’un placebo présenté comme antalgique. Les attentes d’un patient concernant son traitement ont donc des effets observables sur le fonctionnement cérébral que le modèle biomédical serait bien en peine d’expliquer.

    Qu’est-ce que le modèle biopsychosocial ?

    Le modèle biopsychosocial est à la fois un modèle théorique, c’est-à-dire un ensemble cohérent et articulé d’hypothèses explicatives de la santé et de la maladie, et un outil clinique, c’est-à-dire un ensemble de moyens diagnostiques et thérapeutiques directement applicables.

    Sur le plan théorique, il s’agit d’une représentation de l’être humain dans laquelle les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sont considérés comme participant simultanément au maintien de la santé ou au développement de la maladie. Aucune de ces trois catégories de déterminants de la santé ne se voit accorder de prépondérance a priori (même si l’on conçoit que leur importance relative puisse varier). Le modèle biopsychosocial est donc un élargissement du modèle biomédical : les facteurs biologiques y gardent toute leur place. Il ne s’agit pas d’une conception psychologique ou psychiatrisante – ni sociologisante – de la maladie. De plus, il faut souligner que le terme «psychologique» réfère essentiellement à des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux normaux, relevant entre autres de l’interprétation des symptômes par le sujet, et non à des aspects psychopathologiques.

    Quelle différence avec la psychosomatique ? Tout dépend de ce que l’on entend par «psychosomatique»… Dans son acception courante, psychosomatique rime avec imaginaire ou hystérie. Rappelons donc que ce mot fait référence aux «interactions multiples et réciproques entre le psychisme et le soma», à mille lieues du «psychosomatisme», dans lequel l’influence des facteurs psychiques est abusivement amplifiée et déformée.9 Chacun d’entre nous a pu expérimenter que ce qui nous affecte émotionnellement a inévitablement des répercussions physiques (il suffit de se demander quels sont les symptômes de l’angoisse), et réciproquement (qui pourrait prétendre pouvoir vivre avec une maladie chronique sans ajustements émotionnels ?). Bien comprise, la psychosomatique n’est pas très différente du modèle biopsychosocial, si ce n’est qu’elle accorde peut-être moins d’impact aux influences sociales et environnementales.

    Les postulats anthropologiques et épistémologiques sous-jacents aux modèles biomédical et biopsychosocial, ainsi que leurs conséquences dans le domaine clinique, ont été discutés en détail ailleurs.10 Notons simplement que le modèle biopsychosocial remplace des systèmes de causalités simples et linéaires par des causalités multiples et circulaires, parfois difficiles à identifier et à contrôler. Ceci implique pour le clinicien (et le malade) une navigation souvent inconfortable entre complexité et incertitude.

    Quels sont les ingrédients d’une pratique clinique intégrant le modèle biopsychosocial ?

    Dans une pratique inspirée du modèle biomédical, l’essentiel de l’action clinique consistera à repérer et tenter de corriger des anomalies dans la «machine corporelle» : déviations de paramètres physiologiques par rapport à une norme. Dans le cadre du modèle biopsychosocial, la pratique clinique aura deux caractéristiques essentielles : un élargissement des perspectives et la participation active du patient.

    L’élargissement des perspectives traduit le fait que le soignant conserve en permanence à l’esprit la notion que les déterminants de la santé et de la maladie sont multiples et divers. Au cours de l’évaluation, il sera particulièrement sensible – en plus et non à la place du bilan somatique – à une évaluation des attitudes et croyances, des attentes, des comportements, des facteurs émotionnels et relationnels, du contexte social, culturel et professionnel. Quant aux stratégies thérapeutiques envisagées, elles comprendront, outre les modalités «traditionnelles» visant à modifier des paramètres physiologiques, divers moyens permettant d’agir sur les facteurs psychosociaux perçus comme participant au problème de santé. Plusieurs modalités différentes seront en général associées. Un critère important d’un bon fonctionnement biopsychosocial est ainsi une réelle intégration des diverses perspectives, qui implique que les dimensions biologique, psychologique et sociale soient abordées de manière simultanée (il ne s’agit pas d’envoyer le patient chez le psy après l’échec de toutes les thérapeutiques «classiques») et, si la situation du patient est particulièrement complexe, un travail en interdisciplinarité (qui implique une réelle concertation et non une simple superposition de l’action des divers intervenants).

    La participation active du patient est essentielle. Ce constat découle de l’observation que les croyances et attentes du patient influencent directement les résultats des traitements. En conséquence, les discordances entre les représentations profanes et scientifiques de la maladie doivent être discutées (cela peut prendre énormément de temps) : le corollaire de la participation active du patient est un accent particulier sur les volets d’éducation et d’information. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on appelle «éducation» : certainement pas un cours magistral dont on espère qu’il puisse «corriger les distorsions cognitives». Plutôt un cheminement socratique, dans lequel les croyances du patient sont mises à l’épreuve des faits et ainsi progressivement adaptées (exemple des croyances de peur-évitement décrites plus haut).

    On assiste donc à une modification profonde de la relation thérapeutique,11 nécessitant de développer un éventail élargi de compétences relationnelles et éducatives.

    Difficultés

    Le modèle biopsychosocial est un outil théorique et clinique permettant un abord de la santé et de la maladie plus complet et plus efficace que ne le fait le modèle biomédical. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer son relatif manque de succès auprès des soignants : méconnaissance et scepticisme, inertie ou même résistance des milieux académiques, difficulté à intégrer complexité et incertitude dans la démarche médicale, difficulté à renoncer au mirage de la toute-puissante technologie, opposition des firmes commerciales vivant du «marché biomédical», nécessité de repenser la relation soignant-soigné et de faire appel à des connaissances théoriques et des compétences relationnelles élargies, manque de temps pour rencontrer le patient dans toute sa singularité…

    Le modèle biopsychosocial présente également plusieurs limites. L’élargissement des paramètres pertinents en termes de santé au domaine psychosocial pose des problèmes d’évaluation et surtout de quantification des valeurs subjectives. Le modèle biopsychosocial reste dualiste, dans la mesure où il ne fait souvent que juxtaposer – et non réellement intégrer – paramètres biologiques, psychologiques et sociaux. En témoigne le fait que ces paramètres soient encore considérés comme appartenant à des catégories distinctes. Enfin, le modèle biopsychosocial reste réductionniste, dans la mesure où le nombre de paramètres pris en considération est limité, alors que le nombre et la variété des déterminants de la santé sont virtuellement infinis.

    Conclusion

    Malgré ses limites, le modèle biopsychosocial est le modèle théorique et clinique de la santé et de la maladie le plus abouti dons nous disposons actuellement. Promouvoir sa diffusion nécessite une adaptation de l’enseignement et de la recherche. Le financement par les pouvoirs publics d’une activité clinique dominée par l’acte intellectuel doit également être revu.12,13

    Implications pratiques

    > Le modèle biopsychosocial est significativement plus efficace que le modèle biomédical, tant en termes d’élucidation des problèmes de santé qu’en termes thérapeutiques
    > Les perspectives biologique, psychologique et sociale ne sont pas utilisées séquentiellement mais doivent être intégrées en permanence, sur un pied d’égalité et sans exclusion
    > Le terme «psychologique» ne relève pas de la psychopathologie mais réfère à des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux normaux
    > L’évaluation et le traitement accordent une importance particulière aux attitudes, croyances et attentes des patients
    > La participation active du patient et une information/éducation adéquates sont particul
    ièrement importantes

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