• Guérir par la méditation: un témoignage

    Article, extrait du MONDE DES RELIGIONS.

    Portrait

    Phakyab Rinpoché. La méditation, médecine interne

    En trois années de méditation, le lama Phakyab Rinpoché a guéri totalement d’une gangrène sévère. Son témoignage émouvant contribue au débat sur les bienfaits thérapeutiques de la méditation.

     

    Lorsqu’il nous reçoit avec un grand éclat de rire, dans une joie communicative, il est difficile d’imaginer les souffrances endurées par Phakyab Rinpoché. C’est avec une grande douceur que le lama tibétain accepte, plusieurs fois au bord des larmes, de confier son histoire.

    Né en 1966 dans une famille nomade du Kham, la région est du Tibet, celui que l’on surnomme « Yak Shelruk » – le « yak en haillons » – reconnaît lui-même avoir nourri, enfant, une « énergie débridée », mêlée pourtant très tôt à la certitude d’être singulier : « Intuitivement, je réalisais sans pouvoir en parler autour de moi, que j’avais un destin différent. » Ses souvenirs de jeunesse sous l’occupation chinoise sont marqués par des conditions difficiles : « Nous étions sous stricte surveillance, nous n’avions pas le droit de réciter des mantras, d’allumer des bougies, ou de faire des offrandes… »

    À l’âge de 13 ans, un rêve où lui apparaissent le Bouddha Maitreya (de la compassion) et Djé Tsongkhapa (un grand saint et érudit du XIVe siècle) bouleverse sa vie. Il s’en ouvre à sa grand-mère, surnommée affectueusement « Momola ». « Mon premier enseignement sur la voie du Bouddha, c’est d’elle que je l’ai reçu », se souvient Phakyab Rinpoché avec émotion. L’idée de devenir moine ne le quitte plus. Mais lorsqu’il fait part de son souhait à ses parents, ceux-ci lui déconseillent vivement de s’engager dans cette voie. « Mon père avait été témoin du bombardement d’un monastère. Il avait vu comment l’armée chinoise avait massacré tous les moines. »

    Torturé et jeté en prison

    Malgré les mises en garde de sa famille, l’adolescent reçoit l’ordination et commence sa formation au monastère d’Ashi, au Tibet oriental, avant d’être transféré à Sera Mey, au sud de l’Inde. En 1994, il est reconnu par le dalaï-lama comme la réincarnation du huitième Phakyab Rinpoché : une prestigieuse lignée de maîtres spirituels enseignant le powa ou transfert de conscience au moment de la mort. Mais en Inde, les conditions de vie des moines tibétains en exil sont de plus en plus difficiles. « Nous étions quatre dans une petite pièce, se souvient-il, et nous dormions sur des couches constituées de tiges de maïs que nous récupérions dans une décharge du village voisin. Au réveil, nous étions couverts d’insectes, de punaises ! »
    De retour au Tibet à la demande du dalaï-lama, il devient rapidement connu pour ses rituels tantriques visant à atteindre l’Éveil en ce corps même. Les représailles du gouvernement chinois ne se font pas attendre. En novembre 1998, il est convoqué au poste de police, reconnu coupable d’activités visant à déstabiliser la mère patrie. Pour éviter d’exposer les trois cents moines de son monastère d’Ashi à une descente de police, il les congédie. Le 28 janvier 1999, il est arrêté au domicile de ses parents, torturé et jeté dans une cellule de la prison de la préfecture voisine de Nagchu. « Les trois mois les plus difficiles de ma vie ont alors commencé. Les autorités voulaient me faire avouer que j’entretenais une correspondance avec le dalaï-lama mettant en danger la sécurité de l’État. » Admis à l’hôpital militaire voisin, il parviendra à s’évader. Il restera reclus pendant un an à Lhassa, avant de rejoindre l’Inde en avril 2000.

    Un message du dalaï-lama

    Atteint d’une gangrène sévère du pied droit, il décide de se réfugier à New York. « Lorsque je suis arrivé, je pouvais à peine faire deux pas, et n’arrivais pas à toucher mon pied. » Il apprend dans la foulée qu’il est atteint de tuberculose et de diabète. « Même en prison, je n’ai pas connu un tel sentiment d’anéantissement. La douleur et la dégradation restaient extérieures, je parvenais à demeurer intègre. La torture n’entamait pas ma capacité de résilience. Alors qu’à l’hôpital, la maladie me détruisait de l’intérieur. » Il est hospitalisé en urgence dans le service des survivants à la torture ; les médecins préconisent une amputation immédiate. Phakyab Rinpoché reçoit alors ce message du dalaï-lama : « Pourquoi cherches-tu la guérison à l’extérieur de toi ? Tu as en toi la sagesse qui guérit et une fois guéri, tu enseigneras au monde comment guérir ».
    Bouleversé par ces paroles, le maître tibétain commence une méditation spécifique, celle de « tsa-lung ». Il définit un programme dont il décide de ne pas changer jusqu’à sa guérison complète, trois ans plus tard. « Je pense que celle-ci est due à ma conviction profonde quant au pouvoir des pratiques que je faisais jour après jour, comme la méditation, les visualisations et les récitations. » Il réussit à soigner sa jambe infectée et au bout d’un an, il remarche par lui-même, à la grande surprise des médecins.

    Le Bouddha de médecine

    Depuis, fidèle à son engagement, il forme des méditants et leur transmet ces pratiques de tsa-lung. Et c’est la France, plus précisément la Normandie, qu’il a choisie pour fonder Menla Thödöl Ling, le « Jardin du Bouddha de médecine » afin d’initier un nouveau programme de trois ans sur les sciences internes de la guérison. « Son style d’enseignement est profondément lié à son expérience, tout en touchant l’être profond de chacun », témoigne la tibétologue Sofia Stril-Rever, sa traductrice.
    Phakyab Rinpoché participe aujour-d’hui à des protocoles de recherche sur les bienfaits thérapeutiques de la méditation, en espérant convaincre le monde médical de l’importance de l’esprit dans le processus de guérison : « La complémentarité entre les techniques médicales contemporaines et les sciences internes des sagesses ancestrales me semble une voie juste. » Une voie qu’il explore également avec de nombreuses organisations consacrées à la collaboration entre les sciences modernes et les différentes traditions du monde.

    Le regard apaisé qu’il porte aujourd’hui sur les épreuves qu’il a traversées force l’admiration : « J’ai été guéri physiquement, mais pas seulement : je me suis éveillé à l’amour et à la compassion universels, j’ai vraiment compris ce qu’était la pratique spirituelle, témoigne-t-il, visiblement ému. C’est pour cela que je ne ressens ni colère ni rancœur envers ceux qui m’ont torturé ; j’éprouve au contraire une immense gratitude à leur égard. »

     

    Citation de Phakyab rinpoché

    « La voie du cœur »

    « La méditation de l’ouverture du cœur concerne tant les bouddhistes que les non-bouddhistes car elle nourrit les valeurs humaines fondamentales d’amour, de bienveillance, de compassion, de pardon, de droits humains et de réconciliation. Sans l’ouverture du cœur, l’éthique reste désincarnée et risque de dévier vers l’intolérance.

    Seule la voie du cœur aide à toujours reconnaître le potentiel de bonté et de transformation qui est le propre de notre humanité. Si on a développé un amour inconditionnel, on reconnaîtra cette base aimante même chez les plus cruels d’entre nous, qui agissent de manière inhumaine par ignorance de leur vraie nature. »

     

    À lire

    Phakyab Rinpoché La méditation m’a sauvé (Cherche-midi, 2014).

     

    En quelques dates

    1966 | Naissance au Tibet.
    1979 | Ordination monastique.
    1999 | Arrestation par les autorités chinoises.
    2003 | Début d’une gangrène sévère au pied droit, départ pour New York.
    2006 | Guérison complète.

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