• Extrait d'ELOGE DE LA FOLIE d'Erasme (du danger des superstitions)

     

    Didier Erasme –Eloge de la Folie

     

    (1469-1536 à Bâle, un des grands centres de l’imprimerie de la Renaissance !)

    Didier Erasme est un des plus grands humanistes hollandais. Il est ordonné prêtre et va poursuivre ses études au collège Montaigu à Paris. Puis il se rend en Angleterre où il rencontra John Colet dont il suivit les cours de théologie. Là, il se lie d’amitié avec Thomas More. L’histoire de sa vie peut ensuite se résumer en une suite de voyages et de productions écrites. Entre 1500 et 1506, il écrit les « Adages » et le « Manuel du chevalier chrétien ».
    On le retrouve à enseigner le grec à Cambridge. C’est à cette époque qu’il rédige l’  Eloge de la folie , dédié à Thomas More (qui sera décapité après 15 mois de détention en 1535 pour avoir désobéi au roi). Dès 1521, il s’établit à Bâle lors des conflits religieux entre catholiques et protestants. Cet humaniste dont la pensée est faite de mesure, de prudence et de tolérance, chercha à concilier l’étude des Anciens et les enseignements des Evangiles.
      L’Eloge de la folie  est un ouvrage satirique paru en 1511. Il est écrit en latin savant et témoigne d’une très grande érudition. Dans cet ouvrage, Erasme se moque de certaines catégories sociales, philosophes et théologiens en tête. Malgré tout, le but de cette œuvre n’est pas différent de celui de ses autres écrits :

     

    - enseigner la vérité évangélique.

     

    Voici une phrase tirée de son œuvre qui résume bien le travail des humanistes : « Nous avons voulu avertir et non mordre ; être utile et non offenser ; réformer les mœurs et non scandaliser ».

     

    Dans cet extrait, Erasme pointe du doigt un des travers majeurs de l’humanité qui est sa crédulité et sa facilité à croire toutes sortes de superstitions. Il met en cause la religion qui se sert de cette faiblesse humaine « pour son plaisir ou son profit ».

     

     

    « Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent point d’entendre ces fables énormes sur les fantômes, lémures (1) et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisemblable, plus ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs (2).

     

    Bien voisins sont les gens qui, par une folle mais douce persuasion, se figurent que la rencontre d’une statue ou d’une peinture de ce Polyphème (3) de saint Christophe les assure de ne point mourir dans la journée, ceux qui adressent à sainte Barbe sculptée (4) les paroles prescrites qui font revenir sain et sauf de la bataille, ceux qui s’adressent à saint Érasme à certains jours, avec certains petits cierges et certaines petites prières, convaincus qu’ils feront fortune promptement. (…)

     

    Que dirai-je de celui qui se flatte délicieusement d’obtenir pour ses crimes des pardons imaginaires, mesure comme à la clepsydre (5) la durée du Purgatoire, et s’en fait une table mathématique infaillible de siècles, années, mois, jours et heures ? ou de qui se nourrit de formules magiques et d’oraisons inventées par un pieux imposteur, vaniteux ou avide, et qui s’en promet tout, richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours solide, verte vieillesse et, pour finir, un siège au Paradis, auprès du Christ ! Encore ne veulent-ils s’y asseoir que le plus tard possible, quand les voluptés de cette vie, auxquelles ils se cramponnent, les abandonneront malgré eux et qu’ils devront se contenter de celles du Ciel. Voyez donc ce marchand, ce soldat, ce juge, qui, sur tant de rapines (6), prélèvent un peu de monnaie et s’imaginent, en l’offrant, purifier d’un seul coup le marais de Lerne qu’est leur vie, racheter par un simple pacte tant de parjures, de débauches, d’ivrogneries, de rixes, de meurtres, d’impostures, de perfidies et de trahisons, rachat si parfait, croient-ils, qu’ils pourront librement recommencer ensuite la série de leurs scélératesses.

     

    Quoi de plus fou, que dis-je ? quoi de plus heureux que ces autres qui récitent quotidiennement sept petits versets du saint Psautier et s’en promettent la félicité des élus ! Or, ces petits versets magiques, un certain diable, par facétie, les aurait indiqués à saint Bernard, étant au reste plus étourdi que malin, puisqu’il fut pris à son propre piège. Et de pareilles folies, dont j’ai moi-même presque honte, ce n’est pas seulement le vulgaire qui les approuve, ce sont aussi des professeurs de religion.

     

    Inspiré du même esprit, chaque pays réclame pour son usage un saint particulier. Il lui confère des attributions propres, établit ses rites distincts. Il en faut un pour guérir le mal de dents, un autre pour délivrer les femmes en couches ; il y a celui qui retrouve les objets volés, celui qui apparaît au naufragé et le sauve, celui qui protège les troupeaux, et ainsi des autres, car l’énumération n’en finirait pas. Certains cumulent les pouvoirs, particulièrement la Vierge mère de Dieu, à qui le commun des hommes en attribue presque plus qu’à son Fils. »

     

    chapitre XL, Eloge de la folie, Erasme

     

    Vocabulaire

     

    (1)lémures : spectres malfaisants issus des croyances de l’Antiquité romaine.

     

    (2)prédicateur : personne qui prêche la bonne parole. Synonyme : prêtre.

     

    (3) Saint Christophe : est appelé le « polyphème chrétien ». Il fut vénéré au Moyen Age car on pensait qu’il suffisait de regarder ce Saint pour être préservé contre les inondations, les incendies et les tremblements de terre. Si on le nomme le Polyphème, c’est qu’on avait l’habitude de le représenter en des proportions colossales (4m de haut).

     

     « Saint Christophe » de Dürer

     

    (4)Sainte Barbe : vierge et martyre, décapitée pour la foi. Elle eut pour bourreau son propre père. Elle devint la patronne des canonniers car son père fut foudroyé lorsqu’il eut porté le coup fatal à sa fille.

     

    (5)clepsydre : La clepsydre est une horloge à eau, fonctionnant sur le principe d'un écoulement régulier au fil du temps.

     

    (6) rapine : vol

     



     

     

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